Titre original : Srpski Film
2010 – Serbie
Genre : Extrême
Durée : 1h44
Réalisation : Srdjan Spasojevic
Musique : Sky Wikluh
Scénario : Aleksandar Radivojevic et Srdjan Spasojevic
Avec Srdjan Todorovic, Sergej Trifunovic, Jelena Gavrilovic, Katarina Zutic et Slobodan Bestic
Synopsis : Milos, acteur porno à la retraite, mène désormais une existence heureuse avec sa femme et son fils de cinq ans. Mais dans une Serbie en pleine crise, les fins de mois sont difficiles. Son amie Layla, au courant de ses soucis d’argent, lui présente Vukmir, un homme d’affaires ayant fait fortune dans le porno grâce à ses appuis politiques. Il fait à Milos une offre qu’il ne peut se permettre de refuser : tenir le rôle principal de son prochain film, moyennant une somme qui les mettra, lui et sa famille, à l’abri du besoin pour le restant de leurs jours. Pourtant, Milos hésite : en effet, l’une des clauses du contrat stipule qu’il n’aura aucun droit de regard sur le script ou sur les situations dans lesquelles il sera placé, puisqu’il est de toute façon hors de question qu’il lise le scénario. Il finit par accepter, et se retrouve dès lors soumis à la volonté de Vukmir : tourner le porno snuff artistique ultime, avec un casting recruté dans les quartiers pauvres, y compris des enfants.
Ah, A Serbian Film, voilà bien le film qui a le plus fait coulé d’encre en 2010. Il y a longtemps qu’un film n’avait d’ailleurs pas fait couler autant d’encre. En 2010, Enter The Void de Gaspar Noé n’aura pas tant que ça fait parler de lui, passant même relativement inaperçu, alors qu’il était attendu. En 2009, il y avait bien eu le controversé AntiChrist de Lars Von Trier (magnifique film en passant), mais après, les vrais chocs, il faut déjà retourner en 2002 avec l’éprouvant et choquant, mais également réussi Irréversible, du même Gaspar Noé. Pourtant, les films extrêmes, il y en a à la pelle. Les vrais films extrêmes bien entendu, Saw et autres Hostel ne font pas partis de cette catégorie. Dans les années 90, il y a eu les All Night Long, les épisodes 1 à 3 sont pourtant peu connus, et les épisodes 4 à 6 inédits en dehors du Japon. Pareil, les Guinea Pig ont beaucoup fait parler d’eux à l’époque, mais sont quasiment oubliés maintenant, tout comme les August Underground. Récemment, il y a bien eu Philosophy of a Knife de Andrey Iskanov, mais sa durée et le fait qu’il soit uniquement destiné au marché de la vidéo (tournage en mini-DV) ne lui ont pas été bénéfiques et le film est finalement passé un peu inaperçu, à part pour les connaisseurs ! En quoi Irréversible, dont on parle encore maintenant, AntiChrist ou le film qui nous intéresse ici sont différents de tous ces films extrêmes qui ont choqués mais qui sont à présents quasi oublié ? La réponse est pourtant simple : une réelle recherche artistique de la part de leurs auteurs n’en faisant pas de simples films accumulant les séquences chocs. Mais A Serbian Film est différent, car il va encore plus loin. Suffisamment loin pour provoquer des polémiques et faire que le film est pratiquement interdit partout. Longtemps vu par des spectateurs curieux et avertis en festivals, ou via une copie qui circulait illégalement sur internet affublé du logo de la société sur l’image toute les 30 minutes, A Serbian Film est finalement doucement sorti un peu partout dans le monde, mais dans une version censurée. 1h37 au lieu de 1h43. Oui, 6 minutes de coupes. La France n’a pas été épargnée, puisque l’éditeur Elephant a sorti le métrage en DVD et Blu Ray, sans prévenir personne que pour avoir la version non censurée, il fallait obligatoirement commander le Blu Ray, et ce sur internet (devinez quoi… j’avais précommandé le DVD et je me suis fait avoir). Bon, enfin bref, le film en lui-même. Et l’éternelle question, A Serbian Film mérite-t-il tout le tapage qu’il y a autour ?
Assurément, oui. Il est rare de voir un film aller aussi loin dans son propos, et montrer ce que les autres ne font que suggérer. Pourtant, au début, on a l’impression de se faire un peu arnaquer. En effet, la première demi-heure ne sera pas réellement choc (façon de parler), se contentant de nous présenter les divers personnages. Mais pourtant, et c’est bien là la force de ce film comparé à d’autres essais dit « extrêmes », le film passionne, le film intrigue, le film nous happe. Les personnages sont travaillés, de vrais acteurs tiennent les rôles, et par-dessus tout, le metteur en scène a fourni un sacré de boulot pour rendre son film prenant, oppressant, et faire monter doucement la sauce. Dés la scène d’ouverture, nous sommes plongés dans l’ambiance, celle de la Serbie d’aujourd’hui, mais pas le côté que les agences touristiques veulent vous montrer, non, ça n’intéresse pas le réalisateur. Ni son équipe. Tout a été pensé pour que le film soit une descente aux enfers tout à fait crédible, et douloureuse. Nous devons donc suivre Milos, ancien acteur porno, qui vit avec sa femme Maria et son jeune fils Petar. Une famille normale, où le petit découvre son corps, les parents ont du mal à survivre niveau argent, tout cela dans un pays en crise. Voilà le point de départ de notre intrigue. La suite, tout le monde l’a connait maintenant. Mais pourtant, le film parvient à être prenant, bien que certaines scènes chocs aient été révélées dans la presse, sur internet. Et cela, c’est un tour de force de la part de l’équipe. A Serbian Film est pourtant loin d’être parfait, souffrant de quelques grandes simplicités dans son scénario, voir dans ses choix de mise en scène, et possédant, il faut bien l’avouer, des scènes gratuites et de trop. Allons y point par point. Tout d’abord le scénario et les personnages. Peu de personnages, ce qui permet de bien les détailler et de rapidement les cerner. L’histoire se concentre beaucoup sur Milos (c’est le personnage principal après tout), puis sur Vukmir, le réalisateur. Les acteurs font tous, il faut bien l’admettre, un travail exemplaire. Ils jouent et parviennent à mettre de l’émotion dans les scènes qu’il faut, sans jamais en faire trop, ce qui n’était pas gagné. Srdan Todorovic, qui joue Milos, est totalement impliqué dans son personnage, ce qui rend sa lente descente aux enfers encore plus convaincante et difficile. Vukmir le réalisateur est l’opposé de Milos, un personnage haut en couleur, qui philosophe. Dès qu’il apparaît la première fois, on sent là un homme perturbé et tellement encré dans ses convictions qu’il est dangereux pour les autres.
Le scénario quand à lui se révèle être, et c’est encore plus appréciable dans ce genre de production, extrêmement bien construit. Bien entendu, on pourra lui reprocher d’être parfois trop simpliste, trop gratuit, et ce n’est parfois pas faux. Le scénario en lui-même est bien construit pour faire monter la sauce doucement, sans trop nous brusquer d’abord, et en cherchant à aller plus loin de scènes en scènes tout en gardant une certaine cohérence, ce qui est, ça aussi, souvent bien rare dans le cinéma extrême. La première moitié du film nous présente donc les personnages, le début du tournage, on se doute très rapidement que quelque chose cloche, l’ambiance oppressante se referme sur les personnages, mais également sur nous, spectateurs, et les idées se font de plus en plus malsaines. Comme le dit si bien le scénariste lui-même dans les nombreuses interviews, son scénario et les actes sont une énorme métaphore de ce qu’à vécu la Serbie. Mais en plus, il dépeint vraiment deux classes différentes de la société (les riches et les pauvres, et comment les riches les utilisent) ainsi que le milieu du porno, sans faire de concessions. Etait-il pour autant utile d’aller aussi loin pour faire passer le message ? Honnêtement, non ! Dès sa première partie, certaines scènes gratuites et dérangeantes sont de trop. Certes, elles permettent de préparer le spectateur à ce qui va suivre, mais elles n’apportent strictement rien et ont parfois du mal à être justifiée (la scène de sexe entre Milos et Maria devant la télé diffusant un film porno, assez anecdotique, bien que rapide). D’autres scènes par la suite seront un peu trop gratuites. Et pourtant, c’est en allant aussi loin que le film nous montre quelque chose d’inédit, quelque chose que personne n’a jamais osé faire auparavant. Le scénario a donc les clés en mains, malgré des facilités et parfois trop de complaisance, pour nous mettre un grand choc direct dans la face. Il fallait maintenant que la mise en scène assure. Et contrairement à beaucoup de films extrêmes tournés (torchés) pour le marché de la vidéo qui se contentent d’aligner les situations horribles, le réalisateur parvient à maîtriser son rythme, son ambiance, et à livrer un produit propre. Le métrage, entre les mains d’un tâcheron, n’aurait été qu’un film sans vraiment d’âme, qui aurait beaucoup choqué, mais qui aurait aussi été rapidement oublié. C’est là que le réalisateur, également producteur et coscénariste, cartonne. Et c’est sans doute la raison pour laquelle le film est ainsi redouté, détesté, mais également aimé par certains.
La mise en scène est en effet travaillée, le film est esthétique. A tous les niveaux de mise en scène, c’est un quasi sans faute. Les cadrages sont très bien étudiés, la photographie est extrêmement travaillée et réussie, elle convient parfaitement à l’univers du métrage. Mieux, le monteur a effectué un très grand travail sur le film, l’ensemble est fluide. Et l’élément final apportant grandement au métrage fonctionne à merveille. La musique du métrage, jouant beaucoup sur les basses (et infrabasses), permet de donner immédiatement le ton, et nous plonge encore plus dans cet univers glauque, hautement pessimiste et malsain. Seulement, sur certains points, le réalisateur veut assurément en faire trop, et certains passages, assez rares, tombent totalement à l’eau. D’autres auraient pu également, mais fonctionnent tout de même. Attention, la suite de ce paragraphe comprend quelques SPOILERS. Parmi les scènes les plus célèbres du métrage, celles dont tout le monde parle, il y a la scène du viol du nouveau né. Celle-ci est en effet immonde, mais pas pour les raisons que l’on pourrait croire. Le réalisateur a parfois, voir souvent, la bonne idée de ne jamais montrer totalement les scènes les plus ignobles. Mais parfois, il se lâche. Seulement dans cette scène, le nouveau né en question n’est qu’une vulgaire marionnette. Mais si tout le monde en parle, c’est que la scène fonctionne quand même. La raison est simple finalement, le fait même que la scène, le contexte, cette action soit dans le métrage et que l’équipe ose la montrer choque et possède une grande force. Encore une fois, le scénariste a expliqué son souhait sur cette séquence, et s’il n’a pas tort sur tous les points, était-ce vraiment utile ? Le débat est ouvert depuis longtemps, et continuera encore longtemps. FIN DU SPOILER. Cette scène est d’ailleurs, à mon sens, le point de rupture du métrage. Tout ce qui précède, aussi malsain soit-il, est acceptable pour les habitués d’un cinéma extrême et déviant. Ce qui suivra sera beaucoup plus extrême, il n’y aura plus de limites. Le film va continuer logiquement, montant en puissance jusqu’à un final, qui, selon les spectateurs, sera prévisible ou non, mais gardera une force immense, à condition de regarder le film jusque là, puisque le film, changeant de construction narrative dans cette partie, va enchaîner les scènes chocs, à caractère extrêmement violents et sexuels. C’est malheureusement lors de ce final, pourtant très malsain (les scènes comptant parmi les plus malsaines jamais filmées), que le réalisateur se laissera encore aller à quelques notes gratuites, faisant absolument tâches à côté du reste. Ces passages cassent un peu des moments forts du métrage, mais pourtant, grâce à l’implication de l’équipe et son sérieux général, le film ne perd pas de son impact.
Au final, que penser de A Serbian Film. Faut-il interdire le film ? Faut-il être violent dans nos propos comme certaines personnes sur le net n’ayant pour la plupart pas vu le film en question ? A Serbian Film est, oui, extrême au possible, beaucoup plus que ce que les spectateurs ont l’habitude de voir. Forcément que quelqu’un considérant Saw et Hostel comme extrêmes ne saura pas quoi penser, voir rejettera le film en bloc. Le fait que le film soit si extrême et aille son détour jusqu’au bout de son idée lui vaut-elle les réactions lues par ci par là comme « ce film est une merde » ou « il faut brûler le réalisateur » ? Absolument pas. A Serbian Film est un film maîtrisé, qui s’égare certes dans certains passages trop complaisants qu’il est impossible de justifier, mais qui a un message à faire passer (que la manière de faire soit justifiée ou non), et qui le fait avec violence. Un film qui a été pensé et réfléchi, et surtout, que l’on supporte ou pas ces excès, possède de grandes qualités artistiques qu’on ne peut pas nier. MAIS oui, et c’est sans doute le plus important, A Serbian Film est une expérience, une expérience prenante mais malsaine, un film qu’il ne faut absolument pas mettre entre toutes les mains. Le fait de vouloir interdire le film ne fera finalement qu’agrandir le buzz et poussera certaines personnes, sans doute absolument pas préparées et trop « fragiles » à chercher le film pour le voir. Rarement un film n’aura été aussi loin, et en ce sens, A Serbian Film est un film important, mais qu’il est difficile de conseiller tant le niveau de tolérance varie d’un spectateur à un autre, et que la majorité des gens ne voudront jamais se plonger dans une telle expérience.
Les plus
Un film qui y va à fond
Techniquement plutôt maitrisé et c’est appréciable
Des acteurs plus qu’investis
Une ambiance glauque
Les moins
Quelques facilités
Quelques scènes gratuites de trop
En bref : Une expérience inédite de cinéma, à réserver uniquement à un public plus qu’averti avide de sensations fortes, mais pouvant aussi déceler les grandes qualités artistiques du film (mise en scène, photographie, cadrages, montage). Il faut le vouloir pour se plonger dans l’ambiance du métrage, et s’en remettre, malgré quelques passages absolument de trop.