Titre original : Noriko No Shokutaku – 紀子の食卓
2005 – Japon
Genre : Drame
Durée : 2h39
Réalisation : Sono Sion
Musique : Hasegawa Tomoki
Scénario : Sono Sion
Avec Fukiishi Kazue, Yoshitaka Yuriko, Mitsuishi Ken, Tsugumi, Miyata Sanae, Namiki Shirô et Mitsuya Yôko
Synopsis : Noriko est une jeune fille de 17 ans un peu timide, qui vit avec sa sœur Yuka, sa mère Taeko et son père Tetsuzo dans un petit village. Insatisfaite de la petite vie à la campagne, elle décide de fuguer pour rejoindre Tokyo, après avoir fait la rencontre de Ueno54 sur un forum de discussion, le 10 Décembre 2001. Elle finit par rencontrer la jeune femme, de son vrai nom Kumiko, au cassier 54 de la gare d’Ueno, et elle va l’enrôler dans une organisation pour jouer le rôle d’un membre heureux de la famille des clients. Six mois plus tard, 54 jeunes filles se suicident à la gare de Shinjuku en se jetant sur les rails…
Commençant sa carrière par divers courts métrages et moyens métrages dans les années 90, il aura fallut attendre 2002 pour que Sono Sion se fasse remarquer du public avec la sortie de l’imparfait mais très intéressant Suicide Club. Et après ? Plus rien jusqu’en 2005, où Sono Sion revient en force avec pas moins de 4 métrages (dont un filmé quelques années avant mais ayant eu toutes les peines du monde à être achevé : Hazard). Parmi ses métrages : le glauque Strange Circus, le rare Into a Dream et ce Noriko’s Dinner Table, vendu un peu partout comme étant la préquelle de Suicide Club. Au départ, après le succès du métrage, Sono Sion écrira lui même un roman, Suicide Circle : The Complete Edition, en Avril 2002. Le roman, qui n’est jamais sorti en dehors du Japon, serait en quelque sorte une histoire regroupant à la fois Suicide Club et Noriko’s Dinner Table, et le film en serait en quelque sorte l’adaptation. Au vu du métrage, à la durée conséquente (2h40), aucun doute là dessus, le métrage conserve d’ailleurs tous les effets de styles possibles d’un roman. Narration constante en voix off par les différents personnages, découpage en chapitres, traitants à chaque fois d’un personnage différent. Oui, Noriko’s Dinner Table prend la forme d’un livre, mais avec des images, des acteurs, de la musique, du mouvement. Le rapport avec Suicide Club, finalement, est très léger, et plus prétexte qu’autre chose. Noriko’s Dinner Table ne va pas continuer l’histoire du précédent film, ne va pas nous révéler les pièces manquantes de l’histoire, non, le métrage va développer sa propre histoire, ses propres personnages, et donc par la même occasion pouvoir vivre de lui même. Le lien entre les deux métrages ? Un site internet, qui dans le premier film, affichait des points en rapport avec le nombre de suicides, avant qu’ils ne se déroulent. Dans Noriko’s Dinner Table, le même site permet à Noriko de s’évader via le forum, se trouvant des amies hors de son village natal. Puis ce sera sa sœur qui suivra son chemin, empruntant le même parcours. Puis ce sera au tour du père de traîner sur ce site aussi, dans le but de retrouver ses filles fugueuses.
Avec donc une toute nouvelle histoire, nous parlant d’une famille, de la jeunesse, et du malaise au sein même de cette famille, d’autres personnages également, et finalement, au sein de la société, Sono Sion continue l’exploration de ces thèmes. Sa caméra, elle, est totalement libre, suivant les personnages. La plupart des scènes sont caméra à l’épaule, et ce procédé, il le réutilisera dans Love Exposure par exemple en 2008 (tout comme le découpage en différents chapitres). Le but de Sono n’est donc pas ici de livrer un film classique comme pouvait l’être trois ans plus tôt son Suicide Club, mais plutôt de nous faire suivre ses personnages, dans leurs actions, le tout accompagné, à chaque instant, de leurs pensées, en voix off. Les images ne sont que démonstratives, capturant des moments de vie, mais l’histoire, elle, est racontée par les mots, et uniquement les mots. Les dialogues eux même parfois deviennent sans importances, puisque ce sont les pensées qui comptent. Sono nous plonge donc dans les pensées de ces personnages principaux, dans leur intimité, dans leur mal être, dans leur famille, dans la société d’aujourd’hui. Pour se faire, comme toujours, il a recourt à des jeunes acteurs, souvent inconnus ou venant de divers groupes, et tout le monde est tout simplement parfait. Dans le rôle de Noriko, on trouve la jeune Fukiishi Kazue, qui débuta en 2002 dans Sabu de Miike Takashi (elle retournera pour lui dans La Mort en Ligne et 13 Assassins). Elle joue une Noriko tout à fait crédible, tour à tour paumée, prenante de l’assurance, s’affirmant. Pour sa sœur Yuka, Sono offre un des premiers rôles à Yoshitaka Yuriko, depuis plus habituée aux grosses productions (les 2 Gantz par exemple). Pour son premier rôle au cinéma, la jeune femme se montre extrêmement naturelle, et laisse tomber les émotions lors du grand final. Le vétéran Mitsuishi Ken (April Story, Audition, Exte, Nightmare Detective 2) joue le rôle du père. Pour compléter le casting, Tsugumi jouera le rôle de Ueno54. Depuis, elle s’est reconvertie dans le cinéma pour adultes, en 2010. Un casting en béton armé, pour un film retranscrivant, comme souvent chez Sono, extrêmement bien le malaise des jeunes.
En découpant son film en chapitre, pour suivre à chaque fois un nouveau personnage, Sono peut également fracturer sa narration, lui donnant un aspect non linéaire, et pouvant revenir sur des événements déjà vus pour nous donner les pensées et la vision de cet événement par un autre personnage clé de l’histoire. Le pari est réussi, l’exercice très prenant, malgré quelques petites longueurs par-ci par-là (Sono maîtrisera bien mieux ce procédé dans Love Exposure, en le dynamisant par des ruptures de tons et effets de mises en scène). Une fois la présentation des quatre personnages principaux faite, Sono peut alors les « confronter » dans un long final, pour l’ultime chapitre de son film. Et après les suicides dans Suicide Club (car le lien est quand même très léger entre les deux films), Sono livre ici une autre vision du malaise des jeunes, en traitant d’une forme originale de « prostitution ». Car ici, on ne vend pas son corps, on vend un personnage, on joue un rôle. Si un père de famille est triste depuis la mort de sa femme ou la disparition de sa fille, il peut louer les services de l’organisation afin que quelqu’un vienne jouer le rôle de la personne en question, le temps d’une journée, d’une semaine, en échange de rémunération. Ce qui permet au réalisateur d’explorer ces thèmes de manière différente, mais toujours subtile, et de traiter de manière originale la crise d’identité de ces deux sœurs. Bien entendu, on pourra toujours dire que Sono Sion a fait mieux, que son film n’est pas un film « visuel » à proprement parlé, mais l’expérience vaut le détour pour son propos, son travail d’écriture et son interprétation toute en nuance de la part de ses jeunes acteurs.
Les plus
Très intéressant
Des actrices excellentes
Des moments forts
La réflexion sur le mal-être des jeunes
Les moins
Le lien entre les deux films parfois forcé
En bref : Fausse préquelle (et fausse suite), Noriko’s Dinner Table tient plus du roman que du film, et a totalement sa place dans la filmographie de Sono Sion. Il nous livre encore un grand film, malgré quelques défauts.