Titre original : Too Old to Die Young
2019 – Etats Unis
Genre : Série (Policier)
Durée : 10 épisodes entre 35 minutes et 1h35
Réalisation : Nicolas Winding Refn
Musique : Cliff Martinez
Scénario : Nicolas Winding Refn, Ed Brubaker et Halley Wegryn Gross
Synopsis : Dans les bas-fonds de Los Angeles, le quotidien d’un officier de police endeuillé à la suite du meurtre de son coéquipier. Autour de lui, des tueurs à gages, des yakuzas, des cartels mexicains, la mafia russe et des gangs d’adolescents assassins.
Le cinéma de Refn a toujours divisé. Que ce soit la première partie de sa carrière, plus souvent tournée caméra à l’épaule et blindée de dialogues, avec la trilogie Pusher et Bleeder, ou sa seconde partie, réellement débutée avec Valhalla Rising, beaucoup plus esthétisée et mutique. Il faut dire que la violence et le sexe ont très souvent bercés son cinéma, ses thématiques, et que ça, ça ne laisse pas indifférent. Mais passé son opus grand public, à savoir Drive en 2011, qui le révéla au grand public et lui offrit le prix de la mise en scène à Cannes, c’est le drame pour beaucoup. Only God Forgives apparaît pour beaucoup comme une œuvre abscon, misogyne, ultra violente, et sur stylisée. Pour moi, certes un film radical dans ses idées et sa mise en scène, mais une œuvre forte, extrêmement puissante même, magnifiquement filmée, qui fut ma claque de l’année 2013. Un de ses films où, en sortant de la salle, j’étais silencieux, avant de m’exclamer que cette année là, c’était LE film que j’aurais aimé moi-même réaliser, avant de sortir mon téléphone pour immédiatement commander sur Amazon la sublime OST de Cliff Martinez, fidèle compositeur de Refn depuis Drive, et également fidèle collaborateur de Steven Soderbergh depuis son premier métrage. Puis en 2016, il y avait eu The Neon Demon, soit le film que j’attendais le plus cette année là, que j’avais pu voir deux fois en avant première. La première fois avec un ami pour une simple séance, la seconde fois pour une séance spéciale en compagnie de Nicolas Winding Refn et de Elle Fanning. J’y avais retrouvé tout ce que j’aimais dans Only God Forgives, l’aspect cauchemadesque et écrasant plus distillé au sein d’une œuvre plus longue, dont le plus gros reproche que je lui ferais finalement aujourd’hui est d’avoir changé radicalement sa fin. Car oui, en grand curieux et amoureux de cinéma que je suis, j’ai lu le scénario, et pas de bol, je trouvais la fin originale jamais tournée beaucoup plus forte. Moins symbolique sans doute, mais intéressante.
Alors autant dire que voir la prochaine œuvre de Refn, lui que je suis depuis de longues années, ça me faisait envie. Et que à la manière de Twin Peaks The Return, avec lequel Too Old to Die Young partage quelques points communs (on y reviendra), Refn était bien le seul qui pouvait me faire m’asseoir devant ma télévision pour mater compulsivement 13 heures. Oui, car à la manière de Lynch, bien que leurs styles et leurs thèmes soient différents, Refn est un artiste, parfaitement identifiable, et lorsqu’il se décide à livrer une série pour Amazon, il ne faut pas s’attendre à une série traditionnelle. Refn est un réalisateur de cinéma, tout comme Lynch, et aborde donc forcément sa série différemment. Too Old to Die Young a le format épisodique d’une série, mais peut se voir comme un long film de 13 heures. Mais comparé à l’œuvre de Lynch, Refn fait un choix encore plus curieux dans les faits. Chaque épisode, à la durée bien variée, oscillant entre 1h40 et 1h10 (et 30 minutes pour le dernier) peut également se voir comme un long métrage à part entière. Mais Refn sur une aussi longue durée, c’est aussi l’assurance de voir son style, ses tics, ses manies et ses réflexions étirées de manière extrêmes. Et forcément, ça divise encore plus. Petit coup d’œil ailleurs. « la série de Nicolas Winding Refn s’avère d’une prétention, d’une lenteur et d’une violence insupportables ». Ah ben oui, c’est un peu le même avis que certaines critiques sur ses deux derniers métrages. À croire également que pour beaucoup, Refn, c’est Drive, donc son film le plus commercial. Mais un film ayant pourtant par certains aspects ce qui fait son cinéma d’aujourd’hui : stylisation (mais moins de néons certes), lenteur générale du récit, ultra violence rare mais frontale.
Mais je ne vais pas mentir, Too Old to Die Young n’est pas la meilleure œuvre de l’auteur. Pusher 2 dans son style et Only God Forgives dans un autre gagnent toujours le podium pour ma part. Sa série n’est pas parfaite également, et je lui trouve quelques défauts parfois gênants. Et oui, comme beaucoup le signalent, surtout parmi ses détracteurs, Too Old to Die Young est prétentieux. La série est faite par un réalisateur qui après avoir douté énormément sur le tournage de Only God Forgives, notamment par peur de décevoir le public attendant de lui un Drive 2, s’affranchit des attentes du public pour livrer ce que lui veut faire, et le fait avec assurance. Si un plan doit durer une éternité pour permettre un panoramique virtuose à la caméra et permettre à une note particulière du score de Cliff Martinez d’apparaître à tel moment, même si pour le commun des mortels, c’est beaucoup trop long, et bien tant pis, ce plan durera une éternité. Si tous les personnages semblent mutiques et n’aiment pas parler, et que cela peut friser l’auto-parodie, doublée parfois d’auto-citation (Miles Teller en clone de Ryan Gosling, John Hawkes en tueur avec un seul œil), et bien tant pis. Et si les scènes nocturnes doivent toutes être tournées au néon pour donner une ambiance particulière quitte à sembler une redite des deux précédentes œuvres du réalisateur, et bien tant pis aussi, cela lui donne une signature particulière et un style identifiable à 300 kilomètres.
Enfin, je parle, je parle, mais de quoi ça parle donc cette série au titre étrange, cette série de 13h en 10 épisodes qui n’en est pas vraiment une ? Miles Teller joue un flic, Martin Jones, pas tout blanc, et qui apparaît même parfois comme antipathique lorsqu’il ne sait pas gérer sa vie. Son partenaire se fait tuer devant lui très rapidement dans l’épisode 1, et comme souvent chez Refn, la violence amène la violence, souvent plus violente et frontale que l’acte initial. Martin va se retrouver à bosser la nuit pour un gang local, devenant tueur. Mais sans doute par bonne conscience, sa vie va changer. Non, le meurtre lui sera toujours présent, mais Martin ne va pas tuer bêtement les personnes qu’on lui demande. Il faut que la personne le mérite. Oui un peu à la manière de Dexter dans la série éponyme. Martin va refuser par exemple de tuer un Japonais car la raison de ce contrat, c’est uniquement qu’il doit…8 000 dollars. Sa justice à sa façon va le mener sur le chemin d’un autre tueur, ancien du FBI, Viggo (superbe John Hawkes), travaillant pour Diana (toujours superbe Jena Malone), qui punissent les violeurs, tueurs et autres raclures libérées par la société. Simple ? Oui, comme toujours chez Refn, qui coécrit ici l’œuvre avec l’auteur de comics Ed Brubaker (avec l’aide de Halley Wegryn Gross sur les deux derniers épisodes). Simple mais plus complexe, puisqu’une multitudes de personnages, de thèmes, et un gros bordel va rentrer dans le récit, doucement. Très doucement. Un cartel mexicain, une prêtresse de la mort, une guerre de gang, des frères tournant du porno gay, sans oublier le père de la petite amie de Martin, simple adolescente de 17 ans au début de l’aventure.
Tout le paradoxe de cette œuvre de Refn, c’est à la fois la multitude de thèmes abordés, de personnages, mais sa lenteur générale, qui semble donner un rythme stagnant, et donne une impression de rêve éveillé. Enfin, de rêve… de cauchemar. Car même s’il est ponctué d’humour, Too Old to Die Young est un cauchemar malsain et sans fin, qui colle à la peau la plupart du temps. Les situations s’enchaînent, certes doucement, et le grotesque s’invite souvent dans la partie pour nous faire rire, Refn parodiant certains aspects attendus de telle ou telle situation. Une rencontre plutôt malsaine avec le père de la petite amie de Martin, et voilà que le père invite Martin dans la chambre de sa fille pour lui parler, tigre en peluche dans les mains, à imiter le grognement de l’animal. Une course poursuite rythmée aux sons électriques de Cliff Martinez entre Martin et deux crapules, et voilà que la poursuite finit par durer toute la nuit sur l’autoroute au son d’une chanson d’amour passant à la radio, jusqu’à ce que… l’une des deux voitures tombe en panne. L’humour est très présent dans l’œuvre, et pourtant, ce n’est pas une comédie, loin de là, le malaise revient rapidement au galop. Comment ne pas citer deux des moments les plus malsains de la série, durant l’épisode 5 avec ces frères faisant passer des auditions pornos, ou durant l’épisode 7 lors d’une scène surprenante mais qui ne semble jamais vouloir adoucir son ton, allant toujours plus loin. La série part souvent dans un ton, plus dans un autre opposé, optant pour une liberté totale de ton, et de propos, parfois salvateur, mais parfois laissant également un peu songeur il est vrai. Mais Too Old to Die Young a les qualités des œuvres de Refn quoi qu’il arrive. La mise en scène, esthétisée à l’extrême, est sublime, et les plans, s’enchaînant doucement, ont tous l’air de tableaux figés dans le temps. La photographie de Darius Khondji (Seven, La Cité des Enfants Perdus) est magnifique, de jour comme de nuit, au néon ou en lumière naturelle, le score musical de Cliff Martinez est, et j’en ai marre de le dire à chaque fois, absolument parfait.
Les acteurs, oui, ils parlent tous doucement, très doucement, mais ils font ce qu’on leur demande, et ont pour la plupart une présence à l’écran. Miles Teller, Cristina Rodin, Jena Malone et John Hawkes en tête. J’ai d’ailleurs énormément apprécié la relation entre Martin et Viggo ici. Certains de leurs dialogues font mouche et m’auront même passionné, par ce qu’ils racontent. Et au cours des 13 heures de l’aventure, Refn parvient à livrer des scènes parfois fortes et inoubliables. Et en parlant furtivement des acteurs, n’oublions pas de citer le caméo amusant de Kojima Hideo, créateur de la saga de jeux vidéo Metal Gear Solid… qui aura digitalement recréé Refn pour lui donner un rôle dans son prochain jeu sortant en fin d’année. Pour un créateur de jeu vidéo adorant autant le cinéma (il adore Carpenter, il avait adoré Grave de Julia Ducourneau), le voir ici fait plaisir. Par contre, là où la série de Refn divise énormément, forcément, c’est par son rythme, Refn utilisant son style habituel, mais l’étirant sur 13 heures. Ça passe ou ça casse comme on dit. On y adhère ou pas. On peut être hypnotisé, ou s’emmerder ferme. Et à l’image de Twin Peaks The Return, beaucoup de spectateurs auront lâchés prise, après seulement un ou deux épisodes. Je vous parlais du lien entre les deux séries, et celui-ci est bien présent, dans l’approche du médium série, en s’en affranchissant presque intégralement, mais du coup, également en terme de rythme, lent pour tenter de nous hypnotiser, mais dans certains choix, dont celui de redéfinir l’aventure intégralement lors de ces deux derniers épisodes, et en flirtant parfois avec un aspect plus surréaliste et fantomatique. Sauf que Refn n’est pas Lynch, et n’en a du moins pas la subtilité, Too Old to Die Young étant une œuvre plus frontale et rentre-dedans, et du coup, moins subtile.
Ce qui ne me dérange pas, chaque artiste a son style, et est à l’aise avec une façon de s’exprimer ou une autre. Mais Too Old to Die Young n’est pas parfait, et ne m’aura pas transporté au même niveau que la série de monsieur Lynch. Car malgré tous les bons côtés cités, malgré mon implication dans ce visionnage, mes rires sur certaines scènes, mon exclamation devant la beauté plastique, et mon côté « ah…ok…je ferme ma gueule » en me prenant de méchantes claques malsaines dans la gueule, Too Old to Die Young souffre parfois le chaud et le froid. Le chaud, on l’a abordé, et heureusement, il est souvent présent. Mais il y a le froid. L’épisode 2 par exemple, intéressant sur le papier en forme de tragédie à la Shakespeare, et parsemé de tableaux magnifiques (la scène dans le club vers la fin) ou de moments comiques (la scène du repas) ne m’aura pas intéressé. Désolé Mexique, mais ta chaleur aux couleurs saturées m’aura moins intéressée que les néons de Los Angeles. Simple, même cas de figure lorsque Refn se recentre sur ces Mexicains durant l’épisode 6. Ce qui peut être ironique, l’épisode 2 étant souvent le moins bien noté de la série, mais l’épisode 6 étant souvent le mieux noté. Là où beaucoup auront eu besoin de temps pour rentrer dans la série (jusqu’à l’épisode 3 ou 4), j’aurais pour ma part été hypnotisé durant l’épisode 1, avant de lâcher prise à l’épisode 2, et de retrouver les sensations du premier épisode sur le troisième. Dans le même ordre d’idées, Refn veut changer la donne de sa série sur les deux derniers épisodes, changeant de ton, de thèmes, de beaucoup de choses au final. Et ce changement radical, osé, ne m’aura pas totalement convaincu, notamment le dernier épisode, beaucoup plus court que les autres, et me paraissant un peu vain.
Il aurait peut-être été plus judicieux de terminer l’aventure à l’épisode 8, quitte à livrer dans quelques années une saison 2 sensiblement différente. Et puisque tout le monde semble cracher sur la série pour sa lenteur générale, parlons en plus en détail pour conclure. La lenteur ne me dérange pas. En 2017, Twin Peaks The Return en série (même si encore une fois, série, film de 18h, le débat se pose) et Blade Runner 2049 étaient les deux œuvres à voir absolument, si ce ne sont les seules si l’on n’est pas boulimique de cinéma comme moi. Un film lent n’est pas forcément chiant. Mais Refn, en étirant son style sur tout de même 13 heures, livre quelques moments moins convaincants. Parfois, il stylise ses scènes, étire et dilate le temps, et nous amène à une conclusion satisfaisante, soit pour la scène, soit en nous amenant dans un état quasi hypnotique (encore une fois, à la manière de Lynch sur sa série). Mais il ne réussit pas son pari à tous les coups, et on notera quelques ratés par moment, notamment sur la fin, comme si son procédé s’épuisait. 10 épisodes étaient peut-être trop ? Mais Refn a fait ce qu’il voulait, et a pu s’exprimer, et dans le fond, c’est bien là le plus important. Laisser les auteurs s’exprimer, que l’on aime ou rejette leurs œuvres. Too Old to Die Young sera autant adoré que détesté, fascinera autant qu’il dégoûtera, et dans le fond tant mieux. Pour ma part, sans atteindre la maestria que l’on retrouve chez Lynch, la série de Refn trouve une place dans mon cœur, et j’y retournerais sans doute dans quelques temps, quelques années, une fois le produit intégralement digéré, pour un regard nouveau, un regard qui confirmera tout le bien que j’en pense, ou malheureusement en accentuera certains défauts. Mais pour l’heure, je retourne plonger dans les notes sombres et électriques de ce brave et fidèle Cliff Martinez !
Les plus
Une mise en scène esthétique fascinante
Le score de Cliff Martinez
De bons acteurs
Un climat oppressant et malsain
Des scènes très drôles
Quelques épisodes juste géniaux (les épisodes 1, 3, 4 et 5)
Les moins
Le dernier épisode, un peu du foutage de gueule non ?
J’aurais moins adhéré aux épisodes 2 et 6
Si le cinéma de Refn vous ennuie, fuyez !
En bref : Quoi qu’on pense de lui, Nicolas Winding Refn n’en fait qu’à sa tête et continue son chemin dans l’esthétisation de la violence au néon sur un rythme lent. Pour certains, beaucoup trop lent et trop violent. Ce n’est pas parfait, loin de là, mais on a là l’œuvre d’un artiste qui nous offre sa vision sans concessions. Parfois ça marche et ça fascine, d’autres fois ça laisse perplexe. Mais à l’heure où le cinéma, bien que nous offrant de belles surprises de temps en temps, se fait plutôt morne et évite les prises de risques, voir une telle œuvre qui fait ce qu’elle veut faire et se fou du reste quitte à être parfois méprisée, c’est à saluer.
« la série de Nicolas Winding Refn s’avère d’une prétention, d’une lenteur et d’une violence insupportables » tu ne balances pas ta source , c’est bien, tu va pouvoir bosser chez Média Part. 😉
Ça m’a l’air tout même très alléchant tout ça, ne serait-ce que visuellement. Je n’ai pas peur de m’ennuyer, d’ailleurs Lynch n’a pas reusii l’intégralité de la nouvelle Twin Peaks, et on ne lui en veut pas car, comme tu l’écris très bien, on est face à une œuvre globale, saucissonnée pour satisfaire au goût du jour. Les tranches sont plus ou moins épaisses, ce qui leur donne une qualité non formatée.
N’étant pas abonné chez Besos, je devoir sans doute attendre une edition externe, on verra.
Alors citons Le Parisien haha ! 😉 J’ai juste farfouillé vite fait les avis du net et cherché celui qui était le plus extrêmement négatif dans son résumé. Bon, les spectateurs sur imdb y a aussi des trucs assez gratinés dans le même genre.
Visuellement chaque plan est une peinture sublime, avec de trèèès lents panoramiques à la caméra, une belle utilisation de la profondeur de champ et de la mise au point. Techniquement c’est irréprochable, sauf pour ceux qui détestent les néons haha.
C’est vrai que Twin Peaks, même si globalement supérieure (ce final ahlala), a des épisodes un peu plus faibles et lents, où il ne se passe pas forcément grand-chose également. Pour ça que la comparaison me paraît judicieuse malgré les styles différents des auteurs.
Ah j’oubliais, tu avais des craintes sur l’écriture mais ton article est formidable. 👍
Merci bien 😉 Il y a sans doute quelques passages un peu maladroits, mais c’est écrit un peu à chaud (en écoutant l’ost), et donc un peu sonné.