1999 (Remaster : 2018)
Studio : Sega AM2
Editeur : Sega
Genre : Vivre comme un Japonais
Multijoueur : Non
Joué et testé sur : Playstation 4
Existe sur : Dreamcast, PC, Playstation 4, Xbox One
Synopsis : Novembre 1986, dans la petite ville de Yokosuka au Japon. Hazuki Ryo est le témoin du meurtre de son père par Lau Di. Animé par la vengeance, il commence sa quête.
Shenmue ! Que de souvenirs pour beaucoup de joueurs. Enfin, pas tant que ça vu le relatif échec du jeu. Il faut après tout se remettre dans le contexte de l’époque, quand Shenmue sort, c’est en 1999 au Japon, puis en 2000 dans le reste du monde. Shenmue est le jeu le plus couteux jamais réalisé pour l’époque, avec un budget souvent estimé à 47 millions de dollars (environ 70 millions avec l’inflation), des ambitions folles, le premier chapitre seulement d’une grande aventure en 16 chapitres, le tout à la pointe de la technologie, et surtout, une exclusivité Dreamcast, ce qui finalement aura quelque peu tué la licence pendant de nombreuses années. Car Shenmue a couté tellement cher qu’il ne pouvait tout simplement jamais devenir rentable, sauf si chaque possesseur de la Dreamcast se décidait à acheter le jeu (peu probable)… deux fois (encore moins probable). Ce qui devait au départ être un spin of de Virtua Fighter en mode RPG lors de son début de développement est devenu quelque chose de bien différent lorsque le dit développement est passé sur la Dreamcast. Une console excellente d’ailleurs, il est toujours bon de le rappeler. Il suffit de se dire que la Playstation 2 est sorti après, et que pourtant, Shenmue et quelques autres jeux sont plus beaux que ce que la concurrence fit par la suite. Mais surtout, Shenmue posa les bases d’un nouveau genre, le jeu en monde ouvert. Un pari fou, sur lequel Sega, qui allait mal, a tout misé, puisque développé par Suzuki Yû, la poule aux œufs d’or du studio depuis des années. Bon, pour ceux qui ne connaissent pas, ce qui est peu probable, remettons un peu de contexte. Shenmue, c’est avant tout une histoire, un univers. Le joueur y joue Hazuki Ryo, un jeune homme de 18 ans vivant dans le petit village de Yokosuka au Japon, au dojo de son père. Mais un soir de Novembre 1986, c’est le drame. Voilà que Ryo est témoin du meurtre de son père par Lan Di, qui en profite pour voler un miroir. Ryo est blessé, et comme n’importe qui, à peine sur pieds, il n’a qu’une idée en tête : la vengeance. Voilà que débute Shenmue.
Une quête de vengeance, une quête initiatique, dont ce premier jeu constitue le premier chapitre d’une longue aventure, dont il faudrait un jour venir à l’évidence, on ne verra sûrement jamais la fin, ou du moins, sans doute pas en jeu vidéo. L’échec du jeu, l’échec de la Dreamcast puis la chute de Sega ayant joué pour beaucoup dans tout ça. Et quand on voit l’accueil timide de Shenmue 3 en 2019, qui aura bien demandé 4 années de développement, on se dit que si la saga doit continuer, ce ne sera pas pour tout de suite. Remettons un peu de contexte personnel dans tout ça. J’avais joué à Shenmue à l’époque, mais n’ayant pas eu la Dreamcast personnellement, je ne l’avais pas terminé. C’est donc via son remaster sur Playstation 4 que j’aurais pu me plonger intégralement dans l’aventure de notre jeune Japonais. Évacuons dans un premier lieu ce qui va ou ne va pas dans ce remaster, avant de vraiment parler du jeu en lui-même, le plus important donc. Shenmue est en HD, c’est un fait. Le fait de jouer en 16/9 rend l’expérience bien plus agréable. Les quelques changements du HUB, ou encore la possibilité de sauvegarder n’importe où, ce sont des plus indéniables, tout comme la haute résolution. Ce qui est moins bon, c’est que finalement, ce n’est qu’un simple lisage HD, et que certains éléments, à la pointe de la technologie à l’époque, le sont beaucoup moins aujourd’hui. Lors des cinématiques ou de certains dialogues d’ailleurs, le jeu repasse tout simplement en 4/3, ce qui a clairement de quoi déstabiliser au début. On s’y fait, mais il faut un temps d’adaptation. S’il y a aussi eu du travail au niveau du son, on notera que certains dialogues ont tendance à saturer, comme dans la version d’origine finalement. Et au-delà de ça, ce remaster nous présente Shenmue exactement comme il était à l’époque. Si bien que joué de nos jours, en 2021 pour moi, le premier élément qui demande un gros temps d’adaptation (un bon 2h de jeu), c’est son gameplay, tant contrôler Ryo, le faire tourner, et bien, euh, c’est simple, on a l’impression de diriger un 30 tonnes.
C’est d’une lourdeur monstre qui pourra décourager certains nouveaux joueurs qui n’y ont jamais touché à l’époque où ne connaissent pas du tout Shenmue. Voilà pour ce remaster. Maintenant, le jeu en lui-même. Shenmue, à l’époque, était presque une anomalie, dans le sens où son créateur livrait un jeu comme il n’en existait pas à l’époque. Dans un genre qui finalement, de manière similaire, ne fut jamais exploité par la suite, débordant d’ambitions, à tel point que les joueurs découvrent encore des dialogues ou des quêtes de nos jours. Et surtout, un jeu précurseur sur bien des points. Nous contrôlons donc Ryo, dans les prémices de sa quête. Il va donc devoir se renseigner, suivre des pistes, interroger son voisinage, poursuivre certaines personnes, parfois se battre, et lorsque cela devient nécessaire pour avancer dans l’intrigue, passer du temps avec ses amis, ou bien trouver du travail pour gagner de l’argent et espérer continuer sa quête ailleurs, dans un autre pays, pour Shenmue 2. Le point fort de Shenmue, c’est clairement que l’on se retrouve dans une sorte de simulation très proche du monde réel. On se sent vraiment à explorer une petite ville du Japon en 1986. Tout est fait pour être réaliste. Entre les PNJ qui ont leurs propres horaires, la météo changeante, les bus qui viennent toutes les demi-heures, les boutiques fermées le dimanche ou les jours fériés, les horaires du bus qui changent lors de ces jours là aussi, le fait de devoir payer le bus pour se rendre au port un peu plus loin, la possibilité de s’entrainer au dojo pour apprendre de nouveaux coups, de parler à tout le monde, d’accomplir des quêtes secondaires qui n’ont strictement rien à voir avec l’intrigue, ou même de passer le temps en allant à la salle d’arcade.
Jamais un jeu n’aura laissé une aussi grande liberté. La seule ombre à la liberté, c’est qu’à 23 heures, il faut rentrer chez soit, et que parfois, on nous donne un rendez-vous un certain jour, à une certaine heure, à un certain endroit, et que quand l’on a déjà fait tous les scores en salle d’arcade et appris énormément de coups, on ne sait plus quoi faire. Oui, ça m’est arrivé sur la fin ! Le temps qui passe est la plus grande contrainte du titre, mais aussi sa plus grande qualité. Comme lorsque l’on doit poursuivre notre enquête alors que l’on doit en même temps travailler, et que donc, notre emploi du temps devient obligatoire limité puisqu’il faudra bouger des caisses au port de 9h à midi et de 14h à 17h. Ce qui permet de varier le gameplay, tout en gagnant de l’argent en fonction de notre productivité, et donc, de continuer à avancer. Ce qui est moins cool, c’est quand le bus nous passe sous le nez dans une rue déserte, et qu’il faut attendre 30 minutes (in game hein, pas en vrai) avant le prochain bus. Rageant quand en plus, il s’agît du dernier bus de la journée que l’on vient de rater, et que notre seul choix est d’attendre la limite de la journée pour revenir automatiquement chez soit. Dans Shenmue donc, on se balade, on parle avec les habitants, avec nos amis, on aide un petit chaton que l’on peut nourrir tous les jours, on parle à notre intérêt sentimental, Nozomi (même si elle reste un des personnages que je trouve les moins intéressant du titre), on va voir Tom au stand de hot-dog, et on essaye d’avancer dans notre enquête au fur et à mesure des journées qui passent. En sachant que si l’on est trop lent, le joueur peut échouer (mais la marge de manœuvre est grande). Et finalement, avec son rythme extrêmement posé, on se prend au jeu, et on en vient à être surpris quand tout à coup, voilà qu’un gang de six personnages vient nous chercher et qu’il va falloir se battre, dans un style qui n’est pas sans rappeler Virtua Fighter, autre jeu de Suzuki Yû d’ailleurs.
Ce qui rend par exemple les combats aussi bons et prenants dans Shenmue, c’est qu’ils sont très rares. Et puis, il y a les QTE aussi, Shenmue étant un des premiers jeux à populariser ce gameplay, mais sans nous noyer dedans comme chez Capcom quelques années plus tard (oui, je te regarde Resident Evil 6). Les QTE sont là, ils sont parfois logiques (un obstacle à éviter venant de la droite, il faudra logiquement appuyer sur la touche gauche), ils interviennent parfois dans des cinématiques, et ils fonctionnent, car le jeu n’en abuse pas. Si ces moments viennent donner un coup de boost au gameplay, voir à l’intrigue, Shenmue reste pourtant un jeu posé, un jeu qui prend son temps, un jeu qui nous force un peu au début à la contemplation, avant que ce ne soit le joueur qui le fasse de lui-même, par reflexe, alors habitué à l’aventure et à son rythme particulier, vivant l’aventure. Oui, passé un stade, alors que le joueur saura où aller, à qui parler, il ne pourra s’empêcher, en se levant le matin, d’aller nourrir un petit chaton, d’échanger quelques mots avec Nozomi, d’acheter une figurine à la boutique du coin, ou d’aller s’entraîner sur un parking désert afin d’être sûr de maitriser une technique dévastatrice en combat, qui pourrait s’avérer utile par la suite. Car si dans sa globalité, Shenmue n’est pas un jeu difficile, les deux derniers combats eux montent le niveau de difficulté d’un cran. Shenmue, c’est un jeu d’aventure, mais aussi en quelque sorte un simulateur de vie, mais parfois, lors de quelques rares séquences, c’est aussi un jeu de baston, ou bien un jeu de course, avec ces courses tous les matins avant le travail, ou avec la séquence de l’autoroute à moto.
Finalement, mon seul regret sur Shenmue, outre son gameplay bien lourd qui demande un vrai temps d’adaptation aujourd’hui, ce sera la taille de sa map. Car autant, jamais un jeu n’avait proposé de telle liberté, voir un tel terrain de jeu dans un jeu intégralement en 3D, autant finalement, le jeu ne met à disposition que notre petit village, soit 3 ou 4 petits quartiers, et le port. C’était sans doute énorme à l’époque, cela nous rappelle également que oui, Shenmue premier du nom n’est que le premier chapitre d’une vaste aventure, voir son introduction finalement, mais on a finalement aussi vite fait le tour des lieux proposés. Et comme le jeu a l’excellente idée de ne pas nous prendre par la main, on en vient très rapidement à connaître la map intégralement, par cœur. Ce qui est génial, pour un petit village dans lequel nous sommes censé vivre depuis toujours. Oui, le joueur n’a pas de carte, il en trouvera affichées à certains endroits des quartiers, et n’a donc aucun marqueur d’objectif, aucune flèche ne lui indiquant où aller. Si on nous donne rendez-vous à telle boutique, ce sera à nous d’y aller par nous-mêmes. Si un PNJ nous donne rendez-vous chez lui, ou qu’une vieille dame nous demande de trouver telle adresse, il faudra chercher, se débrouiller. Une telle liberté, avoir placé finalement une telle confiance dans le joueur, c’est génial, c’est salvateur. Mais après 20 heures de jeux, on connaît ces quatre petits quartiers par cœur, intégralement, on sait où trouver tel personnage, telle boutique. De là à dire que l’on saurait presque l’heure du bus, il n’y a qu’un pas. Un côté qui nous rend familier de l’univers, ce qui est finalement tout à fait logique.
Mais qui trouve donc une certaine limite, vite corrigée dans Shenmue 2, avec ses cartes gigantesques, ses multiples quartiers, et l’impression d’être justement comme Ryo, perdu hors de son environnement de base. Mais voilà, Shenmue a parfaitement réussi son pari. Avec son rythme si particulier, son mélange de genre et ses variantes de gameplay qui débarquent parfois sans prévenir, on en vient à explorer, à tout connaître, mais pourtant, à toujours découvrir de nouvelles choses. Mais Shenmue, ce sont des idées, beaucoup d’idées, mais malgré tout pas encore totalement digérées. Shenmue pose des bases qui seront reprises dans d’autres jeux, mais étant le premier a le faire, il est parfois hésitant. Les premiers pas dans le jeu en sont une belle preuve. On ne nous prend pas par la main, notre seul objectif dans notre carnet est simple, venger notre père. Puis le jeu commence, et voilà, on contrôle Ryo, avec ce seul objectif. Du coup Shenmue nous pousse à parler aux PNJ, à apprendre le quartier, à nous repérer dans tout ça, et cette liberté est à la fois plaisante mais étrange au début, lorsque l’on ne connaît pas encore la map, où que l’on nous donne un indice, comme de parler à tel personnage, mais que l’on ne le connaît pas encore, que l’on ne sait pas où il est. Dans le même ordre d’idée, le temps qui passe, c’est une excellente idée, c’est réaliste, on s’y croit. Mais le souci, c’est que parfois, on doit clairement attendre la journée suivante, et que si, pas de bol, il est midi, et que l’on ne sait pas forcément quoi faire (ou que Ryo nous dit « non, cherchons d’autres indices dans la zone »), il est impossible de passer à la journée suivante.
Oui, pour passer à la journée suivante, il faut aller se coucher, mais Ryo ne peut pas se coucher avant 20 heures. Et lorsqu’il pleut, que l’on a parlé à beaucoup de PNJ déjà, et que l’on n’a pas envie de retraverser trois quartiers pour se faire un Outrun en borne d’arcade, et bien pas le choix, il faut attendre. Les idées sont là, elles sont uniques, novatrices, mais parfois, un peu trop rigides. Mais c’est indéniable, Shenmue est un grand jeu, et surtout un jeu qui a marqué le monde du jeu vidéo. Mais aussi les joueurs lors de sa sortie, se constituant un culte, mais ne plaisant forcément pas à tout le monde de par son rythme posé. Rythme renforcé par le fait que ce premier Shenmue n’est que l’introduction, et que par extension, on ne va pas mentir, il ne se passe pas grand-chose. Shenmue était clairement en avance sur son temps, mais pourtant, le jeu qui reste encore aujourd’hui unique. Oui, Yakuza pourrait être vu comme un successeur spirituel de Shenmue, et vous savez comment j’adore toute la saga Yakuza (bon, sauf le 3, moyen), mais Yakuza simplifie l’aventure, nous donne une carte, des marqueurs de quêtes, des indications claires, et multiplie les combats et retournements de situations pour rythmer l’aventure, au lieu de nous laisser explorer et de façonner notre propre aventure, à notre rythme. 22 ans après sa sortie, Shenmue reste unique, Shenmue reste une anomalie, et s’il est indéniable que le second opus est meilleur sur bien des points (tous ?), et que son gameplay bien lourd est clairement vieillot, Shenmue reste une expérience à vivre. À une époque où les studios se font la guerre pour savoir qui aura la plus grosse map, souvent vide et avec trois activités copiées à l’infini dans chaque partie de sa map, et nous abreuvent d’événements aléatoires toutes les 30 secondes de peur que l’on s’ennuie (paradoxalement, moi ça m’ennuie sur la durée tout ça), Shenmue fait dans la simplicité, nous laisse explorer et vivre notre propre expérience, à notre rythme. Certains y prendront du temps (ou perdrons), d’autres iront vite, certains seront perdus, certains s’adapteront vite, mais voilà, c’est ça aussi Shenmue.
Les plus
La claque graphique à l’époque
L’impression de vraiment vivre à Yokosuka
Des personnages attachants
Un jeu avec un rythme posé
Des séquences de gameplay qui changent
La liberté donnée au joueur
Les moins
Un remaster feignant
Juste un jeu introductif, et donc, il ne s’y passe pas grand-chose
Le gameplay, lourd à l’époque, très lourd aujourd’hui
En bref : Shenmue passionne toujours autant d’années après sa sortie. Le remaster est un peu feignant, le gameplay est lourd oui, mais finalement, après un temps d’adaptation, on se prend au jeu, on vit l’aventure, on explore Yokosuka, on apprend à connaître la ville et ses habitants, on prend son temps, tout à coup on casse quelques dents au passage. Shenmue est un jeu comme nul autre, un jeu important. Et un jeu qui a encore des choses à révéler aujourd’hui.