LE CIMETIÈRE DE LA MORALE (仁義の墓場) de Fukasaku Kinji (1975)

LE CIMETIÈRE DE LA MORALE

Titre Original : 仁義の墓場 – Jingi no hakaba
1975 – Japon
Genre : Policier
Durée : 1h34
Réalisation : Fukasaku Kinji
Musique : Tsushima Toshiaki
Scénario : Kamoi Tatsuhiko, Matsuda Hirô et Kônami Fumio

Avec Watari Tetsuya, Umemiya Tatsuo, Takigawa Yumi, Andô Noboru, Murota Hideo, Narita Mikio, Tanaka Kunie et Ike Reiko

Synopsis : Au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, un yakuza devient totalement incontrôlable. Ces incidents sont sur le point de faire naître une guerre de gangs.

En 1975, Fukasaku Kinji n’a plus rien à prouver aux studios, il a achevé l’année précédente sa saga Combat Sans Code d’Honneur, cinq films ayant pour personnage principal Hirono, perdu au milieu des interminables guerres de clans. Mais tout ne se passe pas comme prévu, et la Toei demande à Fukasaku de livrer un nouvel opus, qui s’exécutera et livrera en 1974, toujours avec Sugawara Bunta dans le rôle principal (bien que jouant un rôle différent), un New Battles Without Honor and Humanity. Film qui aura deux suites, en 1975 et 1976, mais qui n’aura pas le même impact que la saga originale. Fukasaku aurait-il fait le tour de son portrait des yakuza de l’après-guerre mondiale, de l’après défaite des Japonais ? Et bien il nous prouve en 1975 que non, il peut encore aborder le sujet en empruntant de nouvelles voies. La voie qui sera prise donc par Le Cimetière de la Morale, souvent cité comme l’un de ses plus grands films, ce qui est d’un certain point de vue le cas, une voie plus sombre. Mais qui est tellement plus noir que les précédents métrages, avec un personnage fou, sans morale, qui malgré tout ce qu’il se passe durant les 90 minutes de film n’évoluera pas, préférant rester dans sa spirale autodestructrice de violence, qu’il est bien plus difficile d’apprécier le personnage et de se ranger de son côté que malgré tout, on ne peut que préférer les précédents métrages du réalisateur, et son précédent personnage. Fukasaku en tout cas ne change pas son fusil d’épaule dans sa manière d’aborder le sujet, Le Cimetière de la Morale est toujours un film plein de rage, réaliste, filmé caméra à l’épaule, dans un style quasi documentaire… et est un film clairement réalisé dans l’urgence, puisque d’après les assistants réalisateurs, alors que la sortie du film fut planifiée pour Février 1975, le tournage lui ne commença qu’en Décembre, voire Janvier de la même année, et que suite à une grève, plusieurs assistants ne purent rejoindre le tournage qu’une fois celui-ci débuté depuis déjà plusieurs jours.

Le montage fut lui commencé en même temps que le tournage, au fur et à mesure. Une production guérilla, qui respire le chaos autant que le chaos présent sur la pellicule. Et donc, ce coup-ci, Fukasaku trouve un projet en or pour filmer le réalisme et le chaos qu’il aime tant, en mettant en avant Ishikawa, un yakuza ayant réellement existé, et qui contrairement à ses personnages de ces films précédents, n’a aucun repère moral, n’écoute que lui-même, et passera le film non pas à évoluer, mais à s’enfermer lui-même dans une spirale infernale de violence, d’immoralité. Généralement, quand on pense aux yakuzas, et ce malgré le milieu, on pense au code d’honneur, aux coups bas avec en tête un objectif unique, celui de mettre en avant son propre clan, et son boss. Dans Le Cimetière de la Morale, on peut oublier tout ça, surtout avec Ishikawa en personnage principal. Il tue, il poignarde, il viole, il se retourne contre son propre patron, il se drogue. Le genre de personnage adorable que l’on va devoir suivre tout le long. Et poussant le bouchon encore plus loin dans son style documentaire, Fukasaku se permet même des moments semblant clairement documentaires, comme son ouverture, avec images d’archives, voix off. Un procédé qui reviendra à plusieurs reprises dans le métrage, et nous rappelant que même si l’on ne sait pas forcément grand-chose d’Ishikawa, oui, il a existé. Triste réalité. Enfant ayant perdu sa mère très tôt, jeune adulte lors de l’après-guerre, Ishikawa se tourne immédiatement vers le milieu des yakuzas. Pour servir un code d’honneur ? Suivre un boss qu’il respecte ? Pour monter en grade et avoir son propre clan ? On ne saura pas trop, tant Ishikawa est impulsif, fait ce qui lui plait, quand cela lui plait. Une hôtesse dans un cabaret qu’il apprécie et il tentera d’abuser d’elle dans les toilettes avant de s’en prendre à un chef d’un autre clan lorsqu’il l’interrompt. Son propre patron qui le remet à sa place, et Ishikawa n’hésitera pas à lui tenir tête.

Ishikawa est une bombe à retardement qui ne demande qu’à exploser. L’humanité est absente de son développement, et du film en général. Le personnage féminin principal du métrage ne sera là que pour subir au final, recueillant notre héros après une altercation dans la rue, et pour la remercier, Ishikawa va abuser d’elle. Chose qu’il fera à intervalle régulier, ne revenant vers elle que pour assouvir ses propres pulsions, sexuelles ou autres, et parfois, même pour lui prendre son argent quand lui en a besoin. Charmant personnage je vous disais. Et forcément, les choses vont empirer, lorsqu’Ishikawa, après un séjour en prison, sera bannit du clan, et même de Tokyo pour une durée de 10 ans. Ou quand il touchera, tardivement, à la drogue, l’héroïne. Le métrage ne contiendra pas un seul moment doux, pas un seul moment où nos personnages sortent un poil la tête de l’eau, non, chaque décision les fera plonger un peu plus profondément, rapprochant le film d’une réelle descente aux enfers, sans repères moraux. Et au milieu de tout ça, Fukasaku parvient malgré tout à livrer quelques scènes marquantes, au milieu de ce chaos organisé. On notera une scène entre Ishikawa et Chieko, lors d’une de leurs retrouvailles, où certes le propos n’est toujours pas joyeux, mais la caméra se pose pour s’approcher de nos personnages. Et bien évidemment, son final, sombre et nihiliste et bien connu aujourd’hui. Mais plus que le film, plus que certaines scènes ou choix, c’est bien Ishikawa, et donc Watari Tetsuya qui l’interprète, qui marque les esprits.

Les plus

Une descente en enfer
Watari Tetsuya, excellent et marquant dans son rôle
Une certaine idée du chaos sans notion de bien ou de mal
Un final radical

Les moins

Un film sans une once d’humanité, de joie, de morale

En bref : Fukasaku fait finalement l’opposé de ces précédents métrages, en mettant en avant la pire des raclures, sans aucun élément pour justifier ses actes ou pour qu’on le prenne en pitié. C’est sombre, désespéré, osé dans son approche.

A FEW WORDS IN ENGLISH
THE GOOD THE BAD
♥ A descent into hell
♥ Watari Tetsuya, impressive
♥ A certain idea of chaos, without notion of good or evil
♥ A radical ending
⊗ A film without humanity, joy, morale
Fukusaku delivers the opposite of his previous film, with a main character being simply evil and unlikeable, with no justification to his actions. It’s dark, desperate.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *