Titre original : Nosferatu, Eine Symphonie Des Grauens
1922 – Allemagne
Genre : Fantastique
Durée : 1h34
Réalisation : Friedrich Wilheim Murnau
Musique : Hans Erdmann
Scénario : Henrik Galeen
Avec Max Schreck, Gustav Von Wangenheim, Greta Schröder, Alexander Granach et Georg H. Schnell
Synopsis : À Wisborg en 1838, Thomas Hutter, un jeune clerc de notaire ayant fait un heureux mariage avec Ellen, doit partir pour la Transylvanie afin de vendre une propriété au comte Orlok qui désire avoir une résidence dans la ville. Après un périple sur une terre d’ombres, le jeune homme est accueilli au sein d’un sinistre château par le comte. Durant la transaction, Orlok aperçoit une miniature d’Ellen qui le fascine et décide d’acquérir le bâtiment – proche de la maison du couple – qui lui est proposé. Hutter, hôte du comte, ne tardera pas à découvrir la véritable nature de celui-ci.
Si Nosferatu est aujourd’hui considéré comme un monument du cinéma (pas seulement de genre, ou du cinéma Allemand), le film tient pourtant du miracle pur et simple, et n’a été aucunement conçu pour basculer l’industrie cinématographique. Au départ, Nosferatu ne devait être qu’un plagiat. Un plagiat pur et simple de Dracula. Pas le premier d’ailleurs, mais la première adaptation officielle sera faite elle en 1931 par Universal avec Bela Lugosi dans le rôle du vampire. Mais là, nous sommes en Allemagne en 1922. Auparavant, deux adaptations non officielles et à jamais perdue, en provenance de Russie en 1920 et d’Hongrie en 1921. En 1922 donc, c’est à Friedrich Wilheim Murnau que revient la tâche d’adapter une nouvelle fois l’œuvre de manière non officielle. Les noms des personnages sont ainsi changés, tout comme les lieux. Le comte Dracula devient le comte Orlok, Jonathan devient Hutter, Mina devient Ellen. Quelques petits changements sont opérés également, le mot vampire ne sera jamais prononcé, puisque le comte Orlok est un Nosferatu. Au-delà de ces changements, l’œuvre de Bram Stoker est bel et bien voyante, puisqu’il s’agît de la même histoire. Lorsque la famille Stoker s’en aperçue, bien entendu, cela se termina au tribunal, et toutes les copies de Nosferatu devaient être détruites. Et fort heureusement, certaines ont survécues, et le métrage existe toujours. Comment un simple plagiat a-t-il donc pu s’élever au rang de chef d’œuvre du septième art, et rester presque 100 ans après sa réalisation un des films de genre les plus stressants qui soit ?
Les raisons sont extrêmement nombreuses, et le fruit d’une collaboration entre des artistes qui savaient clairement ce qu’ils voulaient, sans pour autant imaginer la portée que leur travail aura encore des années après. Car Murnau, s’il se retrouve clairement à la mise en scène d’une œuvre de commande, d’un film fantastique, et surtout d’un plagiat, s’approprie l’œuvre. Et malgré le rapprochement entre l’expressionnisme Allemand et Nosferatu, ce qui n’est pas tout à fait faux lors de nombreux plans, Murnau fait pourtant des choix opposés à ce courant cinématographique, notamment en tournant un maximum de scènes dans des décors naturels, alors que les films expressionnistes étaient la plupart du temps tournés en studio. Cet aspect, qui pourrait presque sembler anodin, vient pourtant apporter à Nosferatu une portée nouvelle, une ambiance unique, presque étouffante. La première grande réussite de l’œuvre sera donc son visuel. Durant 1h33, le film est prévu pour être vu en version teintée. La version noir et blanc la plus courante, diffusée à 24 images par secondes au lieu de 18, dure donc forcément moins longtemps (une heure) mais surtout bien anéantir une partie du travail de l’auteur. Car Murnau travaille son métrage. Pas mal de scènes de nuit seront par exemple tournées de jour, et il faut qu’avouer qu’en amenant une équipe tourner dans des décors naturels perdus au milieu de nul part, c’est tout de suite plus pratique niveau logistique et éclairage de tourner de jour. Du coup, les scènes censées être de nuit comportent une teinte bleutée, tandis que les scènes de jour ont droit à des teintes le plus souvent orangées.
Un choix judicieux, car même si par moment la lumière semble un poil trop lumineuse lors de certaines scènes, ces choix confèrent à Nosferatu une ambiance étrange, perturbante même. Mais la photographie, entre la mise en valeur des décors naturels et le jeu d’ombre pour les scènes intérieures n’est pas la seule réussite du métrage, et surtout pas la seule raison de cette ambiance particulière. La mise en scène est en effet beaucoup plus travaillée, Murnau s’amusant avec le cadre pour livrer des plans inoubliables, parfois étranges. Comment ne pas penser par exemple à ce sublime plan où l’ombre du Nosferatu est dans l’escalier, ou même dans des moments anodins, l’utilisation des fenêtres et des portes, rajoutant un cadre à l’intérieur du cadre de la caméra. Mais pour rendre Nosferatu aussi marquant et effrayant, deux autres paramètres rentrent en jeu. Comment ne pas citer déjà la prestation unique des acteurs, en particulier Max Schreck dans le rôle du vampire. Il EST tout simplement le Nosferatu. Le voir, avec sa silhouette mince, ses deux longues dents (qui ne sont pas les canines), son teint pâle… il représente parfaitement la nuit, la peur, le danger, et surtout, la maladie. Maladie qu’il amènera avec lui lors de son voyage en bateau, amenant la peste sur la ville. Murnau livre d’ailleurs dans ses moments des plans terrifiants, avec la marche des habitants transportant les cercueils des défunts dans la ville, ou ces croix marquées sur les portes des maisons. Mais pour revenir sur Max Schreck, le plus surprenant avec sa prestation, c’est qu’elle hante tout le film, alors qu’il ne sera finalement que peu présent.
Dernier point sur la réussite du métrage, sa bande sonore, signée Hans Erdmann, absolument unique, et mettant dés les premiers instants le spectateur dans une situation de stress. Une bande sonore qui fut d’ailleurs rejouée, puisque l’originale fut elle disparue à l’époque. À noter que diverses bandes sons furent ensuite composées par d’autres artistes pour le film, mais n’arriveront jamais à la hauteur de l’originale. L’une d’entre elle fut composée par James Bernard, compositeur pour la Hammer des bandes sons de la plupart de leurs films Dracula. Le nombre de versions contenant une bande son différente sont très nombreuses, et nous pouvons à présent même trouver aujourd’hui des musiques faites sur le tard spécialement sur Youtube par exemple. Le plus simple est de regarder la version originale, colorée, avec les cartons en allemand. Bref, Nosferatu, c’est un monument du genre, une expérience unique, novatrice sur de nombreux points, qui pourra vous crisper sur votre siège durant les 1h33 de sa vision. Si Werner Herzog en signera un formidable remake en 1979, il n’atteindra pas la puissance de l’originale. Le réalisateur avouera lui-même dans une interview que pour lui, le plus grand film Allemand reste Nosferatu de Murnau !
Les plus
La qualité de la mise en scène
Le jeu d’ombre
Max Schreck en Nosferatu
L’ambiance unique et stressante
Les moins
…
En bref : Au départ un simple plagiat de Dracula, Nosferatu devient entre les mains de Murnau un monument de cinéma, un moment intense et envoutant.