KILLING (斬、) de Tsukamoto Shinya (2018)

KILLING

Titre original : 斬、
2018 – Japon
Genre : Chanbara
Durée : 1h20
Réalisation : Tsukamoto Shinya
Musique : Ishikawa Chu

Scénario : Tsukamoto Shinya

Avec Ikematsu Sosuke, Tsukamoto Shinya, Aoi Yû, Nakamura Tatsuya et Maeda Ryûsei

Synopsis : Au milieu du XIXe siècle, un rônin s’entraîne tous les jours afin de préserver ses talents de sabreur. Un jour, on lui propose de rejoindre un groupe de mercenaires en mission secrète vers la capitale…

Si j’avais quelque peu délaissé Tsukamoto et son cinéma après la déception que fut Kotoko en 2011, le monsieur n’a pas non plus été bien productif depuis il faut l’avouer. En quasi 10 ans depuis, juste deux métrages. Fires on the Plain, film de guerre, et ce Killing, un chambara. Et pour le coup, voir un réalisateur comme Tsukamoto se lancer dans un chanbara, j’étais curieux. Lui qui a souvent un style si énervé, bruyant. Il n’aurait probablement pas pu livrer un chanbara comme les autres. Comme à son habitude donc, Tsukamoto écrit, réalise, produit, s’occupe du montage, et joue un rôle important dans son film. Il s’entoure d’acteurs plutôt bankables, pour livrer un film qui ne ressemble à aucun autre film du genre. Tant mieux ! Surtout que, qu’on le veuille ou non, Tsukamoto semble réellement avoir fait évoluer son cinéma, amenant alors doucement mais sûrement des surprises au sein de son œuvre. On se souvient tous (moi en tout cas) de cette scène finale dans Nightmare Dectective 2 en 2008, où Tsukamoto filmait son personnage, qui pleurait, face à la caméra, en plan fixe. Ça paraît anodin comme ça, mais de la part de Tsukamoto, c’était surprenant, et ça en décuplait presque l’effet. Et bien en 2018, avec Killing, il livre un chanbara sur la violence, qui prend des allures de drame, et que, plutôt que de montrer avec la force habituelle de Tsukamoto la violence, fait le choix osé de nous parler du refus de cette dite violence. Un choix osé et ingénieux de la part du réalisateur. On y suit un rônin, avec ces entrainements quotidiens, ultra doué, mais qui est comme tétanisé par la violence. Un vrai sabre en main, lors d’un vrai affrontement, et le voilà figé, refusant la violence, les effusions de sang.

Forcément, vu l’environnement dans lequel il évolue, étant gentiment logé en échange de son aide par une famille, à une époque où la guerre fait rage, c’est un peu compliqué. Ça le devient beaucoup plus lorsqu’un autre rônin débarque, joué par Tsukamoto, et qu’il lui propose de partir avec lui pour la capitale, en direction d’une mission importante. S’il part, forcément, la violence devra surgir. Tsukamoto surprend, dans le fond, mais aussi dans la forme. S’il ne délaisse évidemment pas son style filmique, avec sa caméra à l’épaule, il fait la majeure partie du temps le choix, ingénieux donc, du silence. Killing n’est pas un film bruyant, malgré son genre, malgré son titre, malgré son réalisateur. Mais il parvient, de manière assez subtile et étrange, à rendre le silence assourdissant. Killing, c’est un combat incessant, mais plus intérieur qu’extérieur. Celui d’un homme luttant contre sa nature, contre ce que les autres attendent de lui, contre ce que son statut voudrait qu’il accomplisse. Il y a donc quelque chose de très intéressant dans le fond, une tentative de prendre à revers ce que le genre doit délivrer au public. Tout passe par le silence, tout passe par l’image. Les dialogues sont plutôt rares, les personnages intériorisent, et en ce sens, Tsukamoto livre un véritable film sensitif. Et si l’on retrouve par moment quelques tics de sa mise en scène, visuellement, le travail est assez épuré, laissant alors le spectateur admirer la photographie, les décors, la tranquillité environnante, qui bien entendu sera de courte durée. L’arrivée de Tsukamoto, l’acteur, mais aussi de bandits au sein du récit va venir chambouler le quotidien de cette famille, et de ce rônin qui passe des jours paisibles à la ferme en regardant d’un œil fort intéressé la jeune femme de la famille.

Une telle histoire, de tels personnages, de tels sentiments refoulés, qu’il s’agisse de l’amour ou de la violence, ne demande qu’à éclater, et forcément, elle le fera. Lors des rares affrontements, Tsukamoto prouve qu’il n’a rien perdu, et filme cela de manière très sèche, donnant un côté ultra violent au métrage, à la fois très réaliste (les combats ne sont pas longs, quelques coups et c’est plié, aucune chorégraphie abusée) et surréaliste, de par un montage assez audacieux, que l’on n’a pas forcément l’habitude de voir pour des duels. C’est plus la fureur qui anime les coups qui compte que le combat en lui-même, et en ce sens, on pourrait presque comparer Killing à The Blade de Tsui Hark. De loin, de très loin. Mais dans les deux cas, il y a cette manière inhabituelle de filmer les duels qui donne un côté assez inédit aux scènes. Et leur donne de la force. Tsukamoto déstructure les combats, tout comme il déstructure finalement le mythe du genre en lui-même, et celui de son héros, loin des tics habituels du genre. Sans parler de son final, confrontation pleine de tension entre les personnages, qui s’étire, comme pour refuser encore au public ce qu’il attend du genre, sans oublier ses quelques scènes à la tension érotique bien présente, qui n’en font jamais trop, et prouvent, après A Snake of June, que Tsukamoto maitrise également ce sujet, et sait faire ressortir cette tension sans forcément devenir trop graphique, ou trop insistant, et c’est encore une fois un excellent point. Si bien qu’on a plus souvent l’impression que Tsukamoto travaille les émotions, le ressenti, la beauté ou le dégoût de ces éléments, et en laisse la cohérence narrative non pas aux oubliettes, mais à sa forme la plus épurée, pour en ressortir quelque chose de plus fort.

Les plus

De bons acteurs
Un propos tout en retenu
Le thème du refus de la violence
Un travail sur le son juste énorme

Les moins

L’action a un côté viscéral, mais anti spectaculaire

En bref : Tsukamoto signe là un chanbara clairement à part, dans ses thèmes, dans sa façon de filmer, dans sa manière d’appréhender les scènes de duel. Et ça fonctionne. Viscéral, magnifiquement filmé et très intéressant, une pépite.

2 réflexions sur « KILLING (斬、) de Tsukamoto Shinya (2018) »

    1. J’avoue par contre que bien que j’adore Tsukamoto (et que BULLET BALLET soit un de mes films préférés), avant de le voir, j’avais un peu peur, enfin je me posais des questions, Tsukamoto faire un chanbara, lui qui a un style assez bruyant, caméra épaule, chaotique. Et finalement, oui, aucune raison d’avoir peur, il parvient à installer son univers, son style, dans un genre (un peu délaissé de nos jours d’ailleurs il me semble), et ça fonctionne du tonnerre.
      Il me reste son film de guerre à voir maintenant, et quelques anciens films cultes de sa filmographie à revoir pour écrire dessus (TOKYO FIST notamment, que je n’ai pas revu depuis loooongtemps).

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