Titre original : Titane
2021 – France
Genre : Drame
Durée : 1h48
Réalisation : Julia Ducournau
Musique : Jim Williams
Scénario : Julia Ducournau
Avec Agathe Rousselle, Vincent Lindon, Garance Marillier et Laïs Salameh
Synopsis : Après une série de crimes inexpliqués, un père retrouve son fils disparu depuis 10 ans. Titane : Métal hautement résistant à la chaleur et à la corrosion, donnant des alliages très durs.
Julia Ducournau a eu très tôt les projecteurs braqués sur elle. Dés son premier long métrage, Grave, qui fit sensation à sa sortie, et que j’avais adoré, pour des raisons différentes de toutes celles données par les festivals, le grand public, ou encore les critiques. Car oui, le film n’était au final pas si choc que ça, pas si sanglant que ça, et était finalement autre, pas vraiment un film horrifique, plus un film sur le passage à l’âge adulte. Des maladresses, il y en avait, comme dans quasi tout premier film, mais voilà. Du coup, Julia Ducournau était attendue au tournant, et qu’elle ne fut la surprise générale que de voir son second métrage, Titane, récupérer ce coup-ci la palme d’or à Cannes, avec en plus les mêmes mots clés à la bouche de tout le monde. Dérangeant, insoutenable et j’en passe. J’étais donc à la fois curieux et confiant, tout en me méfiant de ce que tout le monde pouvait en dire. Le verdict, quasi couru d’avance en réalité, c’est que Titane, c’était bien, que ça nous bouscule un peu plus dans nos habitudes que Grave, qu’il y a toujours quelques maladresses (et quelques grosses influences), mais non, ce n’est pas d’une violence insoutenable. Et c’est après coup, à la fois en tant que cinéphile et en tant que vidéaste, qu’un élément m’a finalement frappé dans la démarche de Ducournau, et dans la vision du public et des festivals de son œuvre. Car d’un côté, on a un public facilement impressionnable, peu habitué aux expérimentations, et qui se laisse donc très facilement avoir et place la réalisatrice sur un piédestal, ce qui place donc comme je le disais les projecteurs de la jeune réalisatrice, en plus de lui mettre une pression monstrueuse. Et de l’autre, on a un public plus ouvert, plus habitué dirons nous aux débordements, narratifs ou bien violents, et qui trouveront que Titane, tout comme Grave, ne va pas aussi loin qu’espéré. Et au milieu de ce fossé de perception, il y a l’artiste, son œuvre, ses films, qu’elle écrit et réalise, sans doute pas du tout dans le but de choquer, mais de s’exprimer tout simplement, et de faire ce qui lui plait, de rendre hommage aux réalisateurs qu’elle aime (l’influence de David Cronenberg est très présente dans Titane, dés le début, on pense à Crash, qui n’est d’ailleurs pas du tout mon Cronenberg préféré).
Une partie du public secouée, et l’autre déçue, ne trouvant pas ce que la première partie du public lui vendait. Et Julia Ducournau, dont le but n’était sans doute même pas de livrer un vrai film d’horreur, mais plutôt de se servir d’éléments du cinéma de genre comme moteur pour arriver à autre chose. Vous suivez ? Et si je vous parle longuement du public, de la réception du film, et de la perception de celui-ci, ce n’est pas pour rien, c’est que l’on peut entendre tout et son opposé sur Titane, qui est donc encore une fois une Palme d’Or plutôt polémique, comme l’étaient à l’époque celles de Sailor et Lula ou Pulp Fiction. Surtout que Titane ne cherche aucunement la facilité, scindant son intrigue en deux parties distinctes et sans doute opposées, à la fois en terme de contenu, de rythme, de genre même. La première partie, celle aux influences les plus rapidement identifiables, joue presque dans la facilité, affichant donc un côté très axé Cronenberg, avec cette passion pour les corps, cette obsession pour la douleur, mais également, comme dans Crash, pour la mécanique, les voitures. Les voitures sont érotiques ici, comme dans Crash, et non pas comme dans Fast and Furious. Dés l’ouverture avec justement son accident de la route coûtant presque la vie à la jeune Alexia, la pose de cette plaque en titane dans sa tête, avant de la retrouver des années plus tard, en danseuse érotique, souvent filmée nue, frontalement, entourée de couleurs froides, de voitures aux phrases venant éblouir l’objectif de la caméra. Cette première partie, durant basiquement une demi-heure, viendrait en quelque sorte s’inscrire dans une continuité de Grave, acceptant ses influences de manière parfois trop appuyée il est vrai, et en lâchant prise parfois avec une narration dite plus classique pour faire parler ses concepts, ses idées, les corps, les sensations. Ça fonctionne très bien, entre quelques plans séquences impressionnants (mais Ducournau montrait déjà dans Grave une maitrise des plans séquences lors des scènes de foule), beaucoup de nudité mais qui ne semble pourtant jamais véritablement gratuite ou complaisante, et des meurtres, nombreux.
Puis comme son héroïne, le film commence sa métamorphose. Alexia, recherchée par la police, effectue une transformation, et se fait passer pour quelqu’un d’autre, quelqu’un qui a disparu depuis des années, Adrien, et qui retrouve donc son « père », joué par un Vincent Lindon impérial et surtout à contre-courant. Une deuxième partie parlant de transformation physique, et occupant finalement la majeure partie du récit, et donc, n’évitant pas quelques longueurs finalement, ou plutôt quelques égarements. Oui, le film vire tout simplement au drame d’auteur (un mot finalement aussi vain que ne signifiant plus grand-chose aujourd’hui). Ou non, il passe d’un drame à un autre, d’un personnage central qui fait mal aux autres à ce même personnage qui se fait mal au contact des autres. L’ambition de Titane est bien plus mature que celle de Grave, et il est d’ailleurs plutôt amusant de voir que la Justine de Grave, Garance Marillier donc, est bel et bien présente dans le récit, et y passe plutôt rapidement, comme pour couper le cordon de ce premier film. Astucieux, et peut-être même dans le fond un poil amusant (où alors mon cerveau ne fonctionne pas comme il le devrait), avant de plonger dans le vif du sujet et de vidanger les corps. Mais comme sa réalisatrice le dit elle même, son film n’est pas parfait (voir sa déclaration sur la remise de la palme d’or), mais finalement, ces imperfections, ces petits égarements, ne sont-ils pas également ce qui fait le charme de l’œuvre ? Car finalement, plus que le film, la palme d’or ne vient-elle pas avant tout récompenser ici les choix du film, choix narratifs et visuels particulièrement osés pour le cinéma Français, souvent bien plus terre à terre et bien plus lisse, à quelques exceptions près (le cinéma de Gaspar Noé par exemple) ? Méditons là dessus, en attendant de voir le troisième long métrage de Ducournau, qui montre en tout cas bel et bien des thèmes et éléments récurrents en seulement deux films.
Les plus
Des influences très Cronenberg
Agathe Rousselle et Vincent Lindon, excellents
Une ambiance souvent lourde
Des choix narratifs et visuels osés
Il est vrai que parfois, c’est violent
La bande son de Jim Williams
Les moins
Encore quelques maladresses
Des influences trop marquées ?
En bref : Titane tente des choses, nous sort de notre zone de confort avec ses changements de genre, de style, ses influences. Forcément, le grand public en ressort bousculé. L’effort est louable, les intentions sont là, le métrage surprend et fait plaisir, même si tout n’est pas parfait. Quand à savoir s’il est si choc (pour le grand public) ou finalement trop timide (pour les autres), il n’y a pas de milieu. Mais Titane n’avait pas besoin d’aller plus loin pour faire passer son message.
Bon sang, tu m’as donné envie de réhabiliter Gaspard Noé avec ton article !
Je crois qu’une bonne palme d’or doit être polémique (tu peux ajouter Apocalypse Now, Sous le Soleil de Satan,…), sinon on l’oublie. Je gage que « Titane » restera dans les mémoires. Les critiques que tu évoques au début sont finalement émises par des gens qui n’essaie t pas de comprendre l’œuvre. Ils se laissent conduire par un ressenti superficiel mais opposent des arguments creux (trop/pas assez violent). Car comme tu l’écris très bien le « cinéma de genre comme moteur pour arriver à autre chose », là est la clef (du démarreur) pour se saisir d’une telle œuvre.
Ah tu n’aimes aucun film de Gaspar Noé ? Après je peux comprendre hein, ce n’est pas pour tout le monde, et en plus son cinéma a un côté assez simpliste dans le texte.
C’est vrai que les palme d’or que je retiens sont polémiques. Bon, et je retiens la palme pour PARASITE il y a deux ans aussi, elle m’a grandement fait plaisir.Ce genre d’arguments envers le film, ou envers GRAVE à l’époque, je l’ai entendu, et encore il y a peu de temps lors d’une rediffusion au ciné sur Paris pour TITANE. Beaucoup aiment voir ce qu’ils s’attendent à voir. Comme s’ils n’aiment plus être surpris, et portés vers des directions insoupçonnées.
Enfin vu. Bien aimé. J’ai préféré GRAVE malgré tout (vu qu’une fois mais l’ai trouvé fabuleux, il faudrait que je le retente). Dans TITANE, Julia Ducournau lance moult pistes et thèmes, peut-être trop, il faut s’accrocher un peu parfois, je n’ai pas décroché mais à un moment donné je me suis senti un brin moins impliqué. Je le reverrai un jour. En tous les cas, nous avons ici une réalisatrice qui a les crocs(nenberg).
Basiquement le même ressenti. Comme si Julia Ducournau, en voulant rendre hommage à Cronenberg, en faisait parfois un peu trop, s’éparpillait. La proposition reste intéressante, et surtout osée, surtout quand elle rend hommage dés les dix premières minutes à CRASH, qui n’est pas un des Cronenberg les plus apprécié (je ne l’apprécie pas d’ailleurs). Beaucoup aimé le final par contre, ainsi que la présence de l’actrice de GRAVE justement, ce qui place les deux films dans le même univers dans un sens.