Titre Original : Killer of the Flower Moon
2023 – Etats Unis
Genre : Scorsese is the boss
Durée : 3h26
Réalisation : Martin Scorsese
Musique : Robbie Robertson
Scénario : Eric Roth et Martin Scorsese d’après le roman de David Grann
Avec Leonardo DiCaprio, Robert De Niro, Lily Gladstone, Jesse Piemons, Tantoo Cardinal, John Lithgow, Brendan Fraser, Cara Jade Myers, JaNae Collins et Jillian Dion
Synopsis : Dans les années 1920, plusieurs membres de la tribu amérindienne des Osages dans le comté d’Osage en Oklahoma sont assassinés après avoir trouvé du pétrole sur leurs terres. Le « Bureau of Investigation » (qui deviendra le FBI en 1935) mène, tardivement, l’enquête.
Il y a tellement de choses à dire sur le nouveau métrage signé du grand Scorsese, et pourtant, tout a déjà été dit un peu partout. L’on pourrait commencer par sa production longue et chaotique, par son changement de direction en cours de production pour dire adieu à la classique enquête policière et se focaliser à la place sur le mal qui vient empoissonner la tribu des Osages, sur le sauvetage du film par Apple, par le fait que Scorsese, malgré son âge, prouve qu’il a toujours l’œil, l’envie, le talent, et que cela fait 10 ans qu’il fait ses films avec une liberté totale et en totale indépendance (oui, ce sont des gros films, mais Le Loup de Wall Street a été financé indépendamment par exemple, et The Irishman et Killers of the Flower Moon, bien que respectivement sauvés par Netflix et Apple TV, sont des films où Scorsese a une liberté totale, de ton, de narration, de durée). Et face à une année 2023 certes comme souvent riche en bons films (Call me Chihiro, La Famille Asada, Infinity Pool, Super Mario Bros, Extraction 2, John Wick 4, Baby Assassins 2, The Roundup 2), mais qui a surtout su marquer les spectateurs face à l’échec quasi intégral des gros budgets. Expendables 4, The Flash, les films Marvels, les live action de Disney. Rien n’a marché, rien n’a su plaire au public, et surtout, c’était souvent visuellement honteux et bien trop politisé. Dans ce contexte, deux films étaient attendus au tournant pour sauver intégralement l’année, mais face au report de Dune Partie 2 à Mars 2024, il ne reste que Scorsese. Et pour moi, Killers of the Flower Moon, c’était un film que j’avais peur de rater (pour ceux qui ne savent pas, je vis au Japon, et souvent, il y a un sacré retard pour les films US). Heureusement, Scorsese a sans doute une aura aussi là-bas puisque non, la sortie fut simultanée, et c’est donc un samedi matin que j’ai décidé de caler un peu plus de trois heures de ma vie au Toho Theater de Shibuya pour affronter la bête, dans une salle plus remplie que je ne l’aurais imaginé. 3h25 environ après, le verdict tombe, et oui, Killers of the Flower Moon se place aisément en tête de mon classement de l’année, même si avec une telle durée, on pourrait presque dire que parfois, le réalisateur tire un peu sur la corde, face à son personnage principal qui n’évolue pas et est le plus souvent antipathique et pathétique, et pourtant, une telle durée était nécessaire pour les choix du métrage.
Car il n’est pas ici question de thriller, ni de savoir qui tue, puisqu’on le sait très rapidement, mais plutôt de nous placer aux côtés de ses antagonistes, de nous faire très doucement pénétrer dans leur intimité, dans ce cauchemar oppressant, aux côtés de ces hommes blancs prêts à tout pour empoissonner ce qu’il reste des Osages, juste pour récupérer leur fortune, puisque dans les années 20, ils étaient, par un heureux hasard, le peuple le plus riche du monde. Baladé d’état en état par l’envahisseur, ils se retrouvent sur une terre pauvre, dont par chance, le sol regorge d’or noir, de pétrole. Il n’est alors plus question de venir frontalement tuer ou faire dégager les natifs, mais bien de manipuler pour s’accaparer leur fortune par des moyens détournés. Des mariages, des meurtres camouflés en suicides, des contrats malhonnêtes. Et au milieu de tout ça, deux personnages clés. Le premier, ce sera celui joué par DiCaprio, revenant de la guerre, un homme un peu simplet, qui débarque pour retrouver son oncle. Et l’autre, c’est De Niro, l’oncle, la tête de tout ce bordel. D’un côté, l’homme simplet, manipulable, qui a une confiance aveugle en les autres, mais qui va faire une sacrée série de saloperies sans trop se poser de questions, sans jamais remettre la moralité de ses actes en doute. De l’autre, l’homme manipulateur, qui apparaît en public comme un homme proche des autres, qui veut aider les Osages, parvient même à participer aux réunions de la ville, qui commandite tous les meurtres sans jamais se salir les mains. Entre les deux hommes, il y a Lily Gladstone, rayonnante, peu bavarde mais qui vole pourtant la vedette à tout le monde dès lors qu’elle se situe dans le cadre. Mollie de son petit nom, qui va se marier avec Ernest, notre héros simplet, ou plutôt anti héros, et rapidement en subir les conséquences, ayant au départ totalement confiance en son mari tout en sachant qu’autour de lui, tout n’est pas rose, et ce même lorsque les membres de sa famille périssent, les uns après les autres.
La force première du métrage, on la doit en tout cas bien à la position prise par Martin Scorsese. Scorsese ne cherche pas à faire un thriller, il ne cherche pas à faire un mystère, il ne cherche même pas à jouer sur une quelconque tension. A la place, il livre une œuvre en forme de cauchemar qui enveloppe les personnages mais aussi les spectateurs, et resserre ce cauchemar sur nous. Les seuls véritables moments où sa réalisation respire seront l’ouverture, où il n’hésite pas à filmer de larges décors, à utiliser des grues ou drones, et le plan final, s’élevant dans les airs, magistral par ailleurs. Le reste, il le place souvent en intérieur, et habillement, presque de manière imperceptible, il étouffe ses personnages. Dans ses cadrages, très souvent rapprochés, mais aussi dans les lieux, qui paraissent de plus en plus sombres et exigus autour de nos héros. Cela est devenu flagrant à mes yeux lorsque Ernest et Mollie, après un triste événement, retournent vivre dans leur précédente maison. Là, tout paraît plus petit, plus resserré, les pièces filmées se limitent souvent à une chambre et des escaliers. Dans le même ordre d’idées, le fait de nous faire suivre Ernest comme personnage principal est un excellent choix, tandis que le traitement de De Niro l’est tout autant. Il commande tout, il est à la tête de tout, mais un peu comme s’il adaptait sa mise en scène à la vision des Osages, jamais on ne le verra faire ses plans, se salir les mains. A la place, il envoie les autres, et préfère lui se faire bien voir et offrir ses condoléances. Lorsque le FBI débarque pour enquêter, l’on pourrait alors craindre un bousculement dans le métrage. Ce n’est pas le cas, même si on pourra trouver cette partie un peu plus classique dans son propos et son déroulement. Mais alors que l’on imaginait, moi en tout cas je l’imaginais, que le film se terminerait par un simple procès et des images d’archives, Scorsese frappe fort. D’une part car il livre une scène finale aussi surprenante que bienvenue, et d’autre part car il fait précéder tout ça d’une scène émotionnellement si forte qu’elle fait l’effet d’un gros coup de poing. Et le film, en plus de se placer probablement tout en haut de mon classement de l’année, se retrouve également dans le haut du panier de mes films préférés de Scorsese, aux côtés de Casino et Shutter Island.
Les plus
Une mise en scène parfaitement pensée
Lily Gladstone exceptionnelle
Tout le casting est excellent
Un cauchemar lent qui ne nous lâche pas
Une durée justifiée
Le final marquant
Les moins
Un poil moins prenant lors des rares moments d’enquête
En bref : Killers of the Flower Moon est une belle claque qui remet un peu les pendules à l’heure, et permet à Scorsese de prouver que même à 80 ans, il a toujours des choses à raconter, et le fait merveilleusement bien.
A FEW WORDS IN ENGLISH | |
THE GOOD | THE BAD |
♥ Scorsese thought about everything, it’s visually impressive ♥ Lily Gladstone, exceptional ♥ All the cast is excellent ♥ A slow nightmare that never let us go ♥ Long film yes, but it’s justified ♥ The finale, I’ll remember it for a while |
⊗ Maybe a bit less surprising during the (fast) investigation |
Killers of the Flower Moon is a beautiful movie and it’s so good to see Scorsese doing it at his age. He still has things to say, and still know how to say it using his art. |
Superbe critique. Un récit effectivement de la dimension d’un « Casino », je te rejoins sur ce point. C’est la description d’un machinerie infernale qui s’intègre pleinement dans le mouvement historique états-unien (c’était aussi le cas dans une autre mesure de « the Irishman » que j’ai revu à la hausse). Ici, les critiques vont bon train sur le côté caricatural de DiCaprio (ici, on aime la sobriété), voire de De Niro et forcément on loue la noblesse, la dignité et la retenue de Lily Gladstone. Moi, j’y vois surtout le moyen pour Scorsese de ne mettre en exergue les victimes, de pointer du doigts les mystificateurs, le double-langage. Et pourtant, rien de manichéen chez Burkhart qui est piégé entre sa fidélité au clan (les scènes maçonniques terribles) et un induscutable amour pour son épouse indienne. Un film qui détonne dans le contexte actuel d’une Amérique de plus en plus divisée.
Et encore, je me rends compte que j’ai oublié de parler du design sonore qui m’a happé assez rapidement, et de tant d’autres choses. Il y a tant à dire.
DiCaprio je le trouve très bon dans son rôle, un homme simple, à la morale bien discutable vu certains actes, qui ne voit même pas où est le problème, d’où cette dernière scène entre lui et Molly que j’ai trouvé extrêmement forte. La scène dans la cellule où il s’effondre et aussi très réussie, et très « ironique ».
L’Amérique va mal, les mensonges sont partout, et Scorsese nous rappelle que ça ne date pas d’hier.