BLONDE de Andrew Dominik (2022)

BLONDE

Titre Original : Blonde
2022 – Etats Unis
Genre : Drame
Durée : 2h46
Réalisation : Andrew Dominik
Musique : Nick Cave et Warren Ellis
Scénario : Andrew Dominik d’après le livre de Joyce Carol Oates

Avec Ana de Armas, Adrien Brody, Bobby Cannavale, Xavier Samuel, Julianne Nicholson, Evan Williams, Lily Fisher, Toby Huss, David Warshofsky et Caspar Phillipson

Synopsis : Marilyn Monroe, actrice, mannequin et considérée comme un sex-symbol par l’Amérique entière, commence sa carrière mondiale. Entre excès en tout genre, sexe, drogue, alcool, cinéma et dépression, l’actrice livre sa vie entière mouvementée.

Au départ, j’attendais Blonde tout simplement pour la présence à l’écran d’Ana de Armas incarnant Marilyn Monroe. Puis car le film était l’œuvre d’Andrew Dominik, un réalisateur on ne peut plus intéressant dont la carrière semble thématiquement vouée le plus souvent à démystifier voir détruire les grands mythes Américains, ce qui promettait déjà un film bien différent de ce que l’on pouvait attendre, surtout que contrairement à ce que certains pensaient, Blonde n’est absolument pas un biopic, mais une œuvre de fiction, adaptant un livre de fiction, que l’on pourrait plus qualifier de descente aux enfers aux relents dits « Lynchiens ». Une œuvre donc clairement vouée à diviser, entre les attentes du public, le fait qu’il s’attaque clairement à un mythe que le public actuel ne connait finalement que peu voire pas du tout. Et ça n’a pas loupé, il suffit de voir les premiers retours extrêmement mitigés, entre le chef d’œuvre et la vaste fumisterie, entre la plongée fantasmagorique, le drame qui y va à fond et nous emmène sans filets de sécurité dans un esprit malade et le film vulgaire, putassier et racoleur. Sur le coup, on pourrait presque se dire que c’est bien fait pour Netflix, bien trop occupé en 2022 à se faire bien voir du grand public, alors que Blonde est un projet qui certes débarque en 2022, mais qui ne date pas d’hier, puisque son développement commença au début des années 2010, voyant son casting radicalement changer au fur et à mesure des années, avant que Netflix, uniquement en qualité de distributeur (toujours bon de le rappeler) n’entra dans la dance qu’en 2016. Et on le sait, le réalisateur dû se battre pour instaurer sa vision, Netflix ayant voulu le censurer, adoucir son propos et son film. En résulte un classement NC17 en Amérique et une interdiction au moins de 18 ans en France. Et au vu de certains retours, Blonde y va en effet à fond, dans la violence de son propos et dans sa représentation de la sexualité. A tel point que l’on a parfois l’impression que le film n’est, pour certains, qu’une succession de scènes sexuelles et malsaines.

Du coup forcément, Blonde est passé de métrage m’intéressant grandement à priorité à voir au plus vite. Le verdict, 2h46 après car on se retrouve là malgré tout avec un bon gros bloc de cinéma, c’est que si dans le fond, Blonde n’est pas parfait (quel film peut se vanter de l’être), notamment à cause, à mon sens, de quelques longueurs dans son second acte, il fut déjà une très agréable surprise (et pas du tout donc une succession de scènes sexuelles), et surtout un des plus gros morceaux de cinéma de l’année. A tel point que voir un tel travail visuel et auditif sur le film pour finalement ne débarquer que sur le petit écran par la porte Netflix au lieu d’être apprécié sur un grand écran de cinéma, c’est plus que dommage. Car dès sa première partie nous montrant la jeunesse du personnage, sa tendre enfance, le film nous montre ce qu’il a dans le ventre, nous livrant déjà des prestations scotchantes de la part du casting, et surtout une maitrise formelle qui donnerait le tournis à beaucoup de réalisateurs qui eux ont encore droit aux honneurs d’une sortie en salles, avec des plans hallucinants et limite totalement apocalyptiques dans un Los Angeles des années 30 en flammes. Une introduction donc étonnante visuellement, mais bien que plus ça, puisque plaçant déjà les nombreux thèmes du film en avant, notamment à mon sens ses plus gros éléments. Oui, Blonde est avant tout un métrage parlant de la dualité entre Norma Jeane, cette jeune femme au passé trouble que personne ne veut, et Marilyn Monroe, cette personnalité créée de toute pièce, mise en avant par l’industrie, et que tous les hommes veulent. Mais pas que, puisque Blonde met en avant, du côté de son personnage principal, sa quête principale, quête perdue d’avance, celle de la recherche du père, ce père qui l’a abandonné à la naissance, qui ne voulait pas d’elle, que Norma idolâtre, dont elle fantasme un jour le retour inespéré, ce qui sera clairement au centre du film et du personnage, ce que des lettres possiblement écrites par son père nous rappellera tout du long, ainsi que le fait que Norma, dans sa vie privée, appellera chacun de ses époux « daddy ».

Et donc, plus que Marilyn, c’est Norma, la fragile Norma qui est en avant. Déjà, disons le d’entrée de jeu, Ana de Armas est absolument exceptionnelle dans son rôle. Le reste du casting n’a pas à rougir bien entendu, notamment Adrien Brody dans le rôle d’un scénariste de théâtre qui deviendra l’un des époux de la jeune femme, ou Julianne Nicholson, tenant le rôle de la mère. Niveau casting, c’est donc du très bon. Pour le reste, Blonde est bel et bien comme certains le disent. Une descente en enfer. Un drame pur et dur (fictif on le rappelle). Tout ce qui pourrait être positif semble laissé au placard (les beaux tournages, les récompenses en festival, on oublie) pour montrer la chute de cet esprit fragile, la recherche du père pour Norma, la création de toute pièce de Marilyn, cette femme que tous les hommes veulent, sujet de tous les fantasmes. Oui, le film est chargé en scènes sexuelles, qui ne sont jamais là pour nous montrer un quelconque épanouissement personnel, mais le film n’en est pas non plus une accumulation, et heureusement vu sa durée. Mais cela prouve que ces scènes, chocs, fonctionnent, puisqu’elles marquent le public, allant jusqu’à en faire pour certains le point culminant dont il faut parler (la scène de fellation, clairement osée), alors que de mon côté, le tournage de la célèbre scène de la jupe se levant au vent m’aura beaucoup plus marqué, par son esthétique, son ralenti classe, tout comme la scène de l’avant-première et son mal-être qui s’installe progressivement. Bien plus qu’une série de scènes marquantes, c’est en réalité l’ambiance générale qui marque, qui colle à la peau au fur et à mesure des minutes qui défilent.

Et cela, outre le jeu des acteurs, on le doit clairement à la maitrise formelle du réalisateur Andrew Dominik. Dans son approche d’ailleurs, avec la chute de cette idole, avec ces rêves inatteignables, cette dualité entre les deux personnalités d’un seul et même corps, et cette lente et progressive perte de tout repères (moraux, spatiaux, temporel), le réalisateur lorgne clairement du côté de David Lynch, enfermant son personnage principal dans le cadre, la plaçant sous le feu des projecteurs et sans jamais lui donner d’espoir. En ce sens, le dernier acte est quasiment un sans-faute, et rattrape les quelques longueurs et quelques répétitions de styles du second acte. Et en parlant de sans-faute, je le laissais sous-entendre en parlant de ce Los Angeles en feu au début du film, mais Blonde est une pépite techniquement impressionnante. Que ce soit par son cadrage (et ses différents formats d’image, et son passage de la couleur au noir et blanc), par sa photographie, par l’atmosphère souvent onirique (et cauchemardesque) se dégageant de ces scènes, le film est un réel plaisir pour les yeux. Plaisir accentué par le gros travail sur le son, qu’il s’agisse du mixage sonore ou du score musical composé par Nick Cave et Warren Ellis, jouant avant tout sur l’atmosphère et le ressenti, et qui contribue lui-aussi à donner cet aspect onirique, surréaliste, flottant même au film. Blonde était, oui, voué à diviser. Le public Américain n’aime pas forcément que l’on détruise ses icones (même lorsqu’il les connait mal), beaucoup s’attendaient à un biopic et non à une fiction, et en ce sens, s’attendaient à une structure beaucoup plus classique. Sans oublier qu’une bonne partie du public n’aime pas forcément être bousculé dans ses habitudes et dans ce qu’il ressent devant un écran. Mais pour moi, c’est un oui, et même un grand oui. Le genre de films dont l’on a clairement besoin en ces périodes mornes ou plus personne n’ose plus rien. L’anti fan-service en quelque sorte.