Titre original : Ashes of Time Redux – Dung Che Sai Duk – 東邪西毒
1994 – Hong Kong
Genre : Wu Xia Pian
Durée : 1h40 (version d’origine), 1h33 (version Redux)
Réalisation : Wong Kar-Wai
Musique : Frankie Chan
Scénario : Wong Kar-Wai
Avec Leslie Cheung, Tony Leung Ka-Fai, Tony Leung Chiu-Wai, Brigitte Lin, Jacky Cheung, Maggie Cheung, Charlie Yeung et Carina Lau
Synopsis : En plein désert, Feng vit seul. C’est un agent, mais pas dans n’importe quelle branche : le meurtre. Au fur et à mesure des rencontres, les chemins se croisent, les souvenirs se construisent, les regrets s’installent, tout comme la solitude dans le cœur de ce guerrier…
Ah, Les Cendres du Temps, troisième film de Wong Kar-Wai. Le genre de métrage totalement unique auquel on adhère totalement ou pas du tout, et ce dés les premiers instants (mais comme beaucoup de films du réalisateur cependant). Le distributeur ARP nous propose de découvrir ou redécouvrir le montage Redux du montage, second montage donc du métrage effectué en 2008 par Wong Kar-Wai. Originellement sorti en 1994, le film attira les foudres du public, venu chercher probablement un Wu Xia (film de sabre d’époque) classique avec des acteurs appréciés, et de nombreux combats spectaculaires, le film s’offrant en chorégraphe nul autre que Sammo Hung. C’était mal connaître Wong Kar-Wai, qui après Nos Années Sauvages en 1990, va se lancer dans une continuité des mêmes thèmes, mais donc, dans l’ancien temps. Le désert remplace le Hong Kong des années 60, mais les soucis des personnages et les thématiques du métrage, elles, restent les mêmes. Les personnages ne font toujours que se croiser, les uns après les autres, pour vivre un petit bout d’existence ensemble, avant de se séparer, de regretter, et de retrouver la solitude. Celui reliant tous ses personnages, et donc, personnage principal du film, Feng, est un agent pour tueur qui vit seul dans le désert. Solitaire, il recrute des tueurs pour son compte, délaissant quelques années auparavant sa fiancée pour s’améliorer et poursuivre la voie qui l’intéressait. Il a lui-même choisit la solitude en pensant que sa fiancée l’attendrait, mais au lieu de ça, elle est tombée dans les bras de son frère. Leslie Cheung joue ce tueur solitaire à la perfection après son rôle déjà dans Nos Années Sauvages. Il est celui qui représente le mieux les différentes thématiques du métrage, et surtout, celles de la mémoire et du passé. Ses souvenirs n’appartiennent qu’à lui, ce sont bel et bien des événements du passé, et il souffre de ces propres choix Dès ses premiers instants, Les Cendres du Temps se montre bien plus complexe d’ailleurs qu’il n’en a l’air.
Comme pour Nos Années Sauvages, il aborde un style narratif très lent, parfois un peu décousu comme pour faire s’enchaîner des petites scénettes, et ce que le spectateur habitué de ce genre de métrage attendra (donc, dans le cas du Wu Xia Pian : les combats) ne viendra que tardivement et ne sera pas le cœur du récit. Oui, le métrage a de quoi surprendre et se mettre à dos certains spectateurs. Car ce n’est pas un métrage facile, et pourtant, c’est un vrai morceau de cinéma, totalement unique, très poétique, et bien souvent hypnotique. A travers les scènes de Feng, ses souvenirs, ses choix, ses regrets, et bien entendu le temps qui passe, Wong Kar-Wai se permet une mise en image absolument à tomber. Du chemin a été parcouru entre Nos Années Sauvages et Les Cendres du Temps, et la collaboration entre Wong Kar-Wai et Christopher Doyle se fait bien plus abouties. Les plans, dans leur intégralité, sont tous à tomber par terre. Cadrage, photographie, musique, interprétation, de tout cela, il n’y a absolument rien à jeter dans le métrage, dans tout semble parfait et s’organiser de la plus belle manière que ce soit. Que les rôles soient longs et étoffés comme pour celui de Leslie Cheung, ou bien plus courts, l’ensemble du casting, constitué de têtes bien connues, est parfait. Le métrage se permettra même beaucoup d’émotions dans certaines scènes, alors que les personnages, s’ils ont leur importance, ne sont pas si présents que ça. Les deux exemples notables seront la mort d’un personnage, absolument époque, et fonctionnant parfaitement, et une courte scène avec Maggie Cheung, peu présente, mais à l’interprétation à fleur de peau.
Si le lieu de l’action est le désert et le personnage principal celui de Leslie Cheung, Feng, Wong Kar-Wai renforce ces éléments par tout ce qui les entoure, donnant ainsi une œuvre incroyablement aboutie, dans le texte, mais également visuellement. De nombreux personnages forts, forgeant le passé et l’avenir de Feng, vont croiser sa route. Il y a Yaoshi (Tony Leung Ka-Fai – Prison on Fire), son meilleur ami, excellent sabreur, qui lui rend visite une fois par an et aime charmer les femmes, mais également Yin, qui se prend parfois pour son frère Yang et veut éliminer Yaoshi, Qi (Jacky Cheung – Une Balle dans la Tête), un autre sabreur qui lui ne pense pas à l’argent, contrairement à Feng. Cela fait déjà beaucoup, mais Wong Kar-Wai rajoute encore des personnages à son récit avec un sabreur aveugle (Tony Leung Chiu-Wai – In The Mood for Love), une jeune femme sans nom (Charlie Young) qui ne vit que pour la vengeance ou encore bien entendu l’ancienne fiancée de Feng (Maggie Cheung), seule et délaissée. Mais finalement, en transposant son univers au sein d’un genre au code bien établis, le Wu Xia Pian, Wong Kar-Wai livre une œuvre hors norme, décalée parfois, hypnotique et onirique pour le spectateur attentif se laissant porter par ce qu’il a à raconter. Celui recherchant des combats au sabre risque d’être déçu, Wong Kar-Wai retardant sans arrêt l’échéance et filmant ses combats dans des plans stylisés au ralentis, parfois de toute beauté, parfois malheureusement un peu confus. Ces combats sont réalistes, et donc, par la même occasion, court, uniquement dans le but de faire avancer l’histoire, à la rencontre suivante, à l’émotion suivante, au regret suivant, à la torture suivante pour le cœur de ses personnages. Une réussite incontestable, un film aussi énorme que les conditions de tournage et de montage apparemment compliquées.
Les plus
Le visuel à tomber par terre
Un score musical épique et triste
Les acteurs parfaits
Un film spirituel, beau, juste, novateur
Les moins
Certains moments brouillons lors des combats
En bref : Les Cendres du Temps est un film unique, une expérience dans laquelle on a plaisir à se replonger vision après vision, pour le plaisir des yeux face au travail visuel, le plaisir des oreilles face à la superbe bande son, et le plaisir des sens.