CRAZED FRUIT (狂った果実) de Negishi Kichitarô (1981)

CRAZED FRUIT

Titre Original : 狂った果実 – Kurutta kajitsu
1981 – Japon
Genre : Drame / Erotique
Durée : 1h23
Réalisation : Negishi Kichitarô
Scénario : Kônami Fumio

Avec Honma Yûji, Ninagawa Yuki, Nagashima Eiko, Okada Eiji, Masutomi Nobutaka et Obata Kinuko

Synopsis : Tetsuo, jeune homme accumulant les boulots de jour comme de nuit, ne fait pas confiance aux riches, et va tomber amoureux de Chika, qui vient d’une famille aisée. Sauf que les soucis sur leur chemin seront nombreux…

Si le genre du pinku, ou plus précisément dans le cas présent du roman porno, a des règles bien établies, et se doit de dénuder ses actrices à intervalle régulier, le genre a aussi souvent quelque chose d’assez fascinant, puisque les réalisateurs sont souvent assez libres dans le ton et la forme de leurs métrages. Ce qui peut donner par exemple en 1984 le film Beautiful Wrestlers, un film avec un ton assez léger, vulgaire, mais à ne pas prendre au sérieux, absolument, mais ce qui peut aussi donner en 1981 le film Crazed Fruit, qui pourrait en un sens être l’exact opposé du film cité. Mais aussi accessoirement, Crazed Fruit pourrait clairement être dans un sens une relique du passé, puisque son histoire d’amour commençant par une relation non consentie aurait toutes les peines du monde à ne pas se faire incendier par le public de 2023 (2024 maintenant), qui passerait la moitié du métrage à crier sur l’écran, face à la violence parfois du propos du film, la cruauté de certaines images, et une relation plus basée sur un côté amoure/haine. Tout cela, ce serait oublier donc qu’à côté de ces scènes érotiques, le film a clairement une histoire a raconter, déjà, et d’autre part, ce serait également oublier que filmer des scènes violentes ou dont la morale nous est étrangère, tout en regardant clairement un film issue d’une culture en plus de base radicalement différente de la nôtre, ça ne veut pas dire cautionner les actions de ses personnages. Oui, c’est triste de devoir commencer à parler d’un film en se justifiant en 2023, aussi triste que le cinéma grand public actuel qui ne veut froisser absolument personne, mais c’est comme ça. Crazed Fruit donc, c’est un pinku comme souvent issu du studio Nikkatsu, et qui fut d’ailleurs assez bien accueilli à sa sortie au Japon. Le réalisateur gagna d’ailleurs le prix du meilleur réalisateur au festival de Yokohama pour ce film, tout de même. Et ça, on peut le comprendre, puisque si, en effet, dans le fond, certains éléments pourront déranger, l’enrobage du film est déjà on ne peut plus sérieux.

Nous sommes invités à suivre le quotidien de Tetsu, un homme jeune qui accumule les petits boulots pour survivre. Le jour, il travaille dans un garage, et la nuit, il sert les boissons dans un bar à hôtesse de Kabukichô. Bien entendu, vu sa situation, et ce malgré qu’il s’entende très bien avec le patron du bar, il a du mal avec… les riches. Prenant dans un sens son patron comme modèle, après avoir été présent là pour le marier à une des hôtesses, la fort charmante Harue, il n’hésite pas à frapper les clients qui ne veulent pas payer, à prendre les riches de haut, et ce jusqu’à sa rencontre avec Chika par hasard. Et lorsqu’il retombera sur elle, les choses prennent un tournant inattendu et bien entendu, sexuel, et non consensuel entre les deux. Pourtant, ce sera le point de départ d’une histoire d’amour loin d’être rose. Très loin même. Car finalement, riches ou pauvres, mariés ou célibataires, employés ou non, nous suivons surtout le parcours de personnages qui cherchent leur place. Chika semble en apparence avoir une vie heureuse, avec une mère et son beau-père, mais à peine nous les rencontrons que l’on apprend que Chika est enceinte… de son beau-père, et voit donc en Tetsuo une échappatoire. Osawa, le patron de Tetsu au bar, passe le plus clair de son temps absent, allant jouer au mahjong, faisant acte de présence le reste du temps comme pour sauver les apparences. Quant à Harue, sa femme, elle espère un futur meilleur, en se mariant, espérant quitter son boulot, mais finalement, la réalité la rattrape elle-aussi, forcée de continuer, à supporter les absences de son mari voire ses actes de violences par moment, bien qu’elle soit, elle aussi, enceinte. Au milieu de tout ça, Tetsu donc ne semble finalement que subir les envies passagères de ceux qui l’entourent, que cela soit sexuellement évidemment puisque nous sommes dans un pinku, mais aussi de manière plus générale, avec repas de famille, invitation à boire un verre, travail.

Et si finalement, aussi dur soit le propos mais aussi les images du film, Crazed Fruit, qui est d’ailleurs un remake d’un film des années 50, n’était pas un film parlant de la jeunesse Tokyoïte, désabusée et perdue, en recherche perpétuelle d’un bonheur qu’ils ne parviennent pas à atteindre, ni même à définir. Dans sa dernière partie après tout, Tetsu et Chika sont en quelque sorte obligés de se faire du mal, physiquement, pour prouver leur affection à l’autre. C’est clair, le contenu du métrage aurait du mal à passer aujourd’hui, mais qu’importe, nous sommes au Japon en 1981. Et le réalisateur, Negishi Kichitaro, soigne son film, visuellement, délivrant de belles images, et un beau Tokyo nocturne. Pour l’aider, il peut d’ailleurs compter sur Yoneda Minoru à la photographie, habitué du genre puisque sa carrière au cinéma est intégralement dédiée aux pinku. Le travail qu’ils livrent est tout à fait solide, et ils peuvent compter en plus sur des acteurs plutôt bons, notamment Honma Yûji dans le rôle principal, que le public retrouvera dans les années 80 dans un autre film marquant, le génial Evil Dead Trap en 1988. D’ailleurs, c’est un peu tout le casting, à l’exception de Masutomi Nobutaka, qui s’éloignera du genre pinku assez vite. Nagashima Eiko, dans le rôle de Harue, à mes yeux bien plus convaincante que Ninagawa Yuki, puisqu’avec un rôle plus « tendre », on la retrouvera par exemple dans Gonin d’Ishii Takashi. Bref, en soit, du tout bon, et si Crazed Fruit n’est pas le pinku le plus marquant qu’il soit, et qu’il fera parfois grincer certains des dents, il demeure un métrage intéressant par pas mal d’aspects.

Les plus

Un film au ton sombre, voir désespéré parfois
Bon casting
Ce n’est pas juste une accumulation de scènes érotiques
Techniquement appliqué

Les moins

Pas mal d’éléments qui ne plairont pas du tout de nos jours
Un film dur, paraissant souvent antipathique

En bref : Crazed Fruit est un pinku assez étrange, résolument sombre, mettant en avant des personnages souvent perdus qui finalement évacuent leur haine. Mais justement, son propos en fond est intéressant, et l’ensemble assez bien fichu pour intéresser.

A FEW WORDS IN ENGLISH
THE GOOD THE BAD
♥ A dark film, desperate even
♥ Good cast
♥ It’s not just a few erotic scenes
♥ Technically well made
⊗ Lots of things here that won’t be liked nowadays
⊗ A harsh film, that doesn’t do a thing to be liked
Crazed Fruit is a weird pinky, a dark one, with lost characters who need something to release their hated. But, the story is interesting, and the film is well made, enough to be interesting for many.

2 réflexions sur « CRAZED FRUIT (狂った果実) de Negishi Kichitarô (1981) »

  1. C’est tellement tragique d’imaginer le nombre de films qui n’auraient pas droit de cité aujourd’hui. Après des années d’émancipation et de libération créatrice, des années à célébrer la transgression qui mettait à bas le carcan de la morale et l’asservissement des esprits, nous voici revenus au temps où il faut savoir ruser pour être subversif. Je ne sais plus qui disait il y a peu qu’il comparaît notre époque à un retour au McCarthisme. Ceci dit, ce fut une époque très fertile en terme de création, d’invention visuelle et scénaristique. Certes, cela permet des prise de conscience, des avancées et chaque position conservatrice sera vue comme réactionnaire. Mais tout de même, parfois, on a du mal à avaler.
    Je m’écarte un peu du sujet de ce film, mais ça fait du bien décrire ce qu’on a sur le cœur parfois. 😉

    1. Ah mais tu sais qu’il y a une toute petite minorité de fous (beaucoup bossent chez Disney tiens haha) qui voudraient faire disparaître une partie de la culture qui ne leur convient pas. Alors évidemment, ça ne se passe pas trop comme ils le voudraient (il suffit de voir les polémiques sur le prochain Blanche Neige, ou le prochain Star Wars), mais ce serait clairement un gros gros retour en arriére finalement. On ne peut plus faire ce que l’on veut, on ne peut plus dire limite ce que l’on pense, sauf si l’on pense la même chose que tous les autres. Moi je me régale à découvrir ces petits films oubliés, souvent inédits chez nous, pas toujours « politiquement correct », mais toujours avec ce cachet années 80 (en ambiance, en cinématographie aussi surtout) qui me plait.

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