SAILOR ET LULA (Wild at Heart) de David Lynch (1990)

SAILOR ET LULA

Titre original : Wild at Heart
1990 – Etats Unis
Genre : Policier
Durée : 2h05
Réalisation : David Lynch
Musique : Angelo Badalamenti
Scénario : David Lynch d’après le livre de Barry Gifford

Avec Nicolas Cage, Laura Dern, Willem Dafoe, J.E. Freeman, Diane Ladd, Isabella Rossellini, Harry Dean Stanton, Grace Zabriskie, Sherilyn Fenn, Calvin Lockhart, Freddie Jones et Crispin Glover

Synopsis : Sailor et Lula s’aiment d’un amour fou, total, absolu. Mais ils doivent échapper à la mère psychopathe de la jeune femme, Marietta, qui s’oppose à cette liaison. Au cours de leur cavale pour échapper à Marietta et à son amant, l’inquiétant gangster Santos, ils croiseront de nombreux personnages étranges, voire inquiétants, parmi lesquels le déjanté Bobby Peru et sa maîtresse Perdita Durango. Par un enchaînement d’effets meurtriers, sensuels et terrifiants s’ouvrent les portes d’un univers noir et hypnotique porteur d’effroyables secrets.

Il est étrange que je n’ai jamais tenté d’écrire sur Sailor et Lula dans les faits, puisque je suis un fan de David Lynch, mais également un grand admirateur de Nicolas Cage. L’union entre les deux qui aura accouché de la palme d’or à Cannes en 1990, ce qui n’est pas rien, à une époque où le festival prenait encore quelques risques (Sailor et Lula en 1990, Pulp Fiction en 1994). Et puis le film est surtout, pour une fois dans le cinéma de Lynch, une adaptation qu’il maitrise, contrairement à un certain Dune six ans plus tôt qu’il renie, et se situe en plus à un moment assez étrange de sa carrière, puisque Lynch sort du succès de la première saison de Twin Peaks au moment de la production (sa participation à Sailor et Lula explique son manque d’implication sur la saison 2), et que Sailor et Lula pourrait donc constituer en partie le point de rupture de sa carrière. Il y avait un avant et un après. Que ce soit dans la série Twin Peaks ou dans Blue Velvet en 1986, l’étrangeté s’invitait dans des récits en soit plutôt classiques, des enquêtes, des personnages qui avaient de lourds secrets à cacher. Mais après ce Sailor et Lula, l’étrangeté a une place bien plus dominante dans la carrière du réalisateur, et la logique narrative vient parfois bien plus s’accompagner d’une sensibilité essayant de nous faire ressentir des émotions plutôt que de nous conter de simples histoires, avec le film Twin Peaks, puis Lost Highway, Mulholland Drive, Inland Empire et enfin la tardive troisième saison de Twin Peaks, véritable monument qui ne se laisse pas facilement aborder. Pourtant, Sailor et Lula, Wild at Heart de son titre original, n’est pas un Lynch que j’apprécie particulièrement. Je l’aime bien, par moment même beaucoup, c’est un métrage solide sur bien des aspects, avec un casting de fou furieux dans les faits, qui regorge d’idées géniales, mais qui me semble bien plus fragile, notamment dans sa première partie qui peut souvent se résumer à une fuite en avant de nos deux personnages, avec une succession de scènes parfois sans grands liens entre elles. On baise, on discute de tout et de rien, on prend la route, pendant qu’un ou deux tueurs sont à nos trousses, puis on chante un peu d’Elvis, on baise et on reprend la route.

Une structure presque décousue, simpliste, qui était déjà dans le fond présente dans le roman de Barry Gifford (pour le coup, je peux enfin le dire, oui je l’ai lu, ouf). Lynch y ajoute bien évidemment sa patte, ajoute des éléments absents du roman, implante sa sensibilité dans le récit qui n’appartient bel et bien qu’à lui, et invite sa petite famille dans le métrage, que ce soit devant ou derrière la caméra. Si les deux rôles principaux sont par exemple tenus par Nicolas Cage et Laura Dern (que Lynch retrouve après Blue Velvet dans un rôle opposé), et que les principaux obstacles du parcours des amoureux se matérialisent sous les traits inquiétants d’une Diane Ladd (véritable mère de Laura Dern, hors écran, mais aussi à l’écran donc) absorbée par son rôle ou d’un Willem Dafoe qui on le sait n’a aucun mal à être flippant juste en souriant, le reste du casting est constitué d’habitués, souvent là pour une seule scène. Isabelle Rossellini rejoint l’aventure pour le petit rôle de Perdita Durango (personnage qui aura droit à son film signé Alex de la Iglesia), Grace Zabriskie joue une tueuse bien flippante et tarée, Sherilyn Fenn se croise sur le rebord de la route, Freddie Jones apparaît dans un bar et j’en passe. Derrière la caméra, c’est pareil, puisque Lynch continue de travailler avec le fidèle Angelo Badalamenti à la musique bien que ce seront surtout les morceaux d’Elvis chantés par Cage lui-même ou bien le morceau Wicked Game de Chris Isaak (qui jouera dans le film Twin Peaks deux ans plus tard) qui marqueront les esprits, Frederick Elmes rempile pour la photographie après deux films opposés, Eraserhead et Blue Velvet, tout comme Duwayne Dunham, monteur sur Blue Velvet et la série Twin Peaks. Mais oui, malgré ce côté familial, ce casting quatre étoiles, la première heure de Wild at Heart, tout en contenant son lot de moments forts, me paraît toujours étrange, comme à la frontière entre l’étrange et le trop banal, même si on ne pourra jamais nier l’alchimie entre Nicolas Cage et Laura Dern à l’écran, tout deux parfaits. On ne s’ennuie jamais, on suit la route de nos deux tourtereaux, de la Nouvelle Orléans au Texas, mais j’ai souvent l’impression qu’en reprenant la structure du roman qui enchainait les chapitres aux discussions parfois anodines, il manque quelque chose de cinématographique au film.

Surtout qu’ici, on ne nous montre pas le quotidien des personnages avant de briser les illusions comme dans Twin Peaks par exemple. Mais je boude mon plaisir, car Wild at Heart reste un film très bon sur pas mal d’aspects, parfois sans doute un peu trop banal (toutes ces discussions dans les chambres d’hôtel), parfois trop étrange (la bonne sorcière, tout ça). Mais pourtant, quand je parlais de structure légèrement décousue, je ne parlais véritablement que de la première heure, car le tout se resserre et trouve alors une structure bien plus passionnante dans la seconde heure, en réalité, dés la scène de Sherilyn Fenn dans le désert. Après cette scène d’ailleurs très réussie et puis l’arrivée de nos personnages à Big Tuna, au Texas, l’ensemble se pose enfin pour jouer ses cartes, poser ses enjeux finaux, mais aussi sceller le destin de nombreux personnages, comme ce privé Johnny Faragutt, joué par Harry Dean Stanton (qui reviendra chez Lynch pour Twin Peaks, le film et la dernière saison, mais aussi pour faire un petit coucou dans Inland Empire) dans une scène mémorable où la patte sonore de Lynch s’avère d’ailleurs très présente, et en introduisant enfin Willem Dafoe, le personnage inquiétant par excellence du métrage, qui va venir absolument tout chambouler, non pas en silence, mais avec un grand bang. C’est là que Lynch, comme débarrassé de la structure hachée du livre et du statut d’adaptation de son film, se lâche et retrouve ce qui fait la sève de son cinéma, mélange les tons en alternant les moments sombres et durs et les moments plutôt romantiques voir niais par moment. Comme quoi, qui à dit qu’on ne pouvait pas faire de film romantique avec un peu d’ultra violence, de sexe, du Powermad, du Elvis Presley, Nicolas Cage et en prime une bonne sorcière au cinéma ? Sans doute personne, mais l’idée n’aurait jamais traversé l’esprit de quelqu’un de dit normal. Car oui, au final, j’ai beau émettre des réserves sur le film, sur sa structure même, et bien, malgré tout ça, et même s’il est loin d’être mon Lynch préféré, et bien je l’aime bien ce Wild at Heart. Il restera avec Lost Highway et Blue Velvet un film de Lynch que j’ai découvert jeune, alors que le cinéma devait être rationnel, et que je découvrais petit à petit des possibilités énormes, d’autres façons de faire, de raconter des histoires. Et puis, même si loin d’être mon Lynch préféré, ça ne m’aura pas empêché depuis sa découverte de voir le film une bonne dizaine de fois, en VHS, puis en DVD, puis en Blu-Ray.

Les plus

Nicolas Cage qui chante du Elvis
Un casting quatre étoiles
La folie de Lynch
Une ambiance alternant le sombre tendu et la romance presque niaise
Une seconde heure magistrale

Les moins

Une structure par moment un peu trop floue, hachée
Une première heure moins marquante malgré des excès

En bref : Palme d’or en 1990, Wild at Heart est l’adaptation de David Lynch du roman de Barry Gifford. Il conserve en parti la structure du roman et ajoute sa patte à l’ensemble pour un rendu pas parfait, mais avec son lot de scènes marquantes et hypnotisantes, le tout porté par un casting au top de sa forme.

2 réflexions sur « SAILOR ET LULA (Wild at Heart) de David Lynch (1990) »

  1. Tiens, c’est étrange : toi tu préfères la fin alors que moi j’adore le début.
    J’ai toujours été bluffé par la virtuosité de Lynch sur ce film, sa capacité à brasser le grand livre d’images de la culture américaine (le pays d’Oz ici dévoyé dans les huiles d’un film néo-Noir dégénéré et brindezingue), la sublime composition de Cage et de Laura Dern. Mais je trouve paradoxalement le film trop long, la fin tarde à venir dans mon souvenir. Cela reste un grand film, je te l’accorde.

    1. Nous avons donc le même verdict final, mais pas tout à fait pour les mêmes raisons, sauf le savoir faire certain de Lynch et le talent des acteurs, là on est tous d’accord de toute façon je pense ^^ De toute façon, les principaux défauts que je lui trouve viennent au final du livre. Mais c’est amusant en effet que l’on préfère chacun une partie différente du métrage. Mais tu n’as pas tort dans le sens où le film est sans doute un poil trop long.

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