LES CRIMES DU FUTUR (Crimes of the Future) de David Cronenberg (2022)

LES CRIMES DU FUTUR

Titre Original : Crimes of the Future
2022 – Canada
Genre : Surgery is the new sex
Durée : 1h47
Réalisation : David Cronenberg
Musique : Howard Shore
Scénario : David Cronenberg

Avec Viggo Mortensen, Léa Seydoux, Kristen Stewart, Scott Speedman, Sozos Sotiris, Lihi Kornowski, Don McKellar, Nadia Litz et Tanaya Beatty

Synopsis : Alors que l’espèce humaine s’adapte à un environnement de synthèse, le corps humain est l’objet de transformations et de mutations nouvelles. Avec la complicité de sa partenaire Caprice, Saul Tenser, célèbre artiste performer, met en scène la métamorphose de ses organes dans des spectacles d’avant-garde. Timlin, une enquêtrice du Bureau du Registre National des Organes, suit de près leurs pratiques. C’est alors qu’un groupe mystérieux se manifeste : ils veulent profiter de la notoriété de Saul pour révéler au monde la prochaine étape de l’évolution humaine…

Quand l’on repense aux années 80 et au cinéma de genre, quelques noms reviennent forcément, notamment John Carpenter et David Cronenberg. Mais l’un comme l’autre ont déserté les plateaux de cinéma depuis des années, du moins en tant que réalisateurs. Pour Cronenberg, son dernier métrage, c’était l’intéressant mais trop moyen à mon goût Maps to the Stars en 2014. 8 ans séparent donc Maps to the Stars de son nouveau métrage, Les Crimes du Futur, qui sonne en plus comme un retour aux sources, ou bien même, comme j’ai pu le lire, à un best of. Cronenberg retourne après tout à ses préoccupations premières, à savoir la chair, les transformations physiques, l’évolution naturelle ou non, et réutilise le titre d’un de ses premiers métrages, le méconnu Crimes of the Future donc. 8 ans que l’on n’osait même plus espérer le retour du Canadien, et pourtant, oui, le voilà. Est-ce que l’attente en valait la peine ? Alors là, tout dépendra des spectateurs, tant ce nouveau métrage a divisé. En France d’ailleurs, le public n’a semble-t-il pas franchement adhéré à la nouvelle aventure de Cronenberg, puisque les adjectifs et autres joyeux mots de la langue française que l’on trouve le plus souvent pour parler du film sont le vide, la prétention, voir parfois même l’inutilité. Pourtant, pour qui a connu Cronenberg depuis ses débuts, voir Les Crimes du Futur n’a rien d’étonnant, puisque Cronenberg nous ressort là des thématiques que l’on connait, peut-être même un peu trop bien il est vrai. Mais après tout, le scénario ayant au départ été écrit il y a 20 ans, alors que Cronenberg entamait un changement dans sa carrière pour quitter l’horreur et partir vers des genres différents (le thriller, le polar, le drame), il n’y a rien de surprenant à ce qui en constitue la moelle rappelle clairement le Cronenberg de l’avant Spider (2002).

Cronenberg nous invite donc dans un futur non daté, un futur gris, limite post-apocalyptique, dont nous ne verrons que des ruelles tristes et étriquées, sombres et peu fréquentables, des entrepôts décrépis, des salles d’opération qui rappelleront bien des métrages, comme eXistenZ par exemple, avec ces instruments organiques. Le long de le côte, nous ne trouverons que des épaves de bateaux, magnifiquement alignés. Le futur est donc aussi triste que le présent, mais l’humain lui a évolué, ne pouvant plus ressentir la douleur excepté à travers les rêves. Dans ce futur où l’humain a donc clairement perdu une de ses principales caractéristiques (la douleur n’est-elle pas la preuve que nous sommes vivants ?), le corps lui évolue, produisant de nouveaux organes. C’est donc dans cet univers qui mettra les non initiés au cinéma de Cronenberg au tapis en quelques secondes que l’on nous présente le principal héros de l’aventure, Saul Tenser, joué par l’habituel Viggo Mortensen, capable de faire pousser des organes, et qui se les fait retirer sur scène par Caprice, interprétée par Léa Seydoux, dans des représentations dites artistiques. Il est à noter que l’actrice est bien plus convaincante ici que dans, par exemple, ces deux opus pour l’agent Britannique, sans doute car en évoluant dans un univers à la fois si proche (la déshumanisation générale, l’acceptation de nouvelles cultures « polémiques ») et si différent (tout le reste) du notre, l’actrice peut se laisser aller. Pourtant, niveau personnages, ces Crimes du Futur a bien des défauts. On pourrait lui reprocher un gros manque d’émotions, un contenu très froid, et donc des personnages tout aussi froids, avec aucun réel point d’entrée proche de nous pour atteindre cet univers. C’est bien là la différence entre un Videodrome qui avait son Max Renn, la première partie de La Mouche avant transformation, ou Ted Pikul dans eXistenZ, qui permettaient aux spectateurs de rentrer dans l’inconnu progressivement en ayant cette attache. Dans Les Crimes du Futur, nous sommes balancé dans un univers qui est déjà accepté par chaque personnage.

Surtout que Cronenberg multiplie les personnages et les intrigues, mais il ne semble pas toujours savoir quoi en faire. En réalité, on pourrait même dire qu’il place les personnages les plus intéressants en arrière-plan. Timlin (Kristen Stewart) par exemple apparaît beaucoup trop rarement alors que sa fascination morbide et sexuelle pour tout ce contenu organique hors norme est une thématique typiquement de son auteur. On peut dire la même chose des deux « mécaniciennes », réparant le matériel organique de notre héros (chaise facilitant la digestion, lit se mouvant suivant nos besoins), là beaucoup trop rarement alors qu’il semble y avoir pourtant bien plus à dire sur ses personnages là. Du coup, c’est un peu la même chose au niveau des intrigues, ça s’éparpille parfois un peu, avec un concours de beauté intérieure qui sera parfois oublié, l’enquête d’un flic et j’en passe. Pour autant, Les Crimes du Futur, pour peu que l’on soit réceptif à l’univers de Cronenberg, a de beaux atouts pour lui, et sait même quand il le faut exercer une fascination chez le spectateur, et ce dés l’ouverture sur les comme toujours superbes compositions d’Howard Shore. Certaines scènes marquent alors qu’ironiquement, Cronenberg semble beaucoup plus sage visuellement qu’à l’époque, et si les nombreuses thématiques abordées par le film sont souvent floues, la finalité étant laissée au spectateur, elles n’en restent pas moins puissantes pour la plupart et sujet à débat. L’ambiance est posée le plus souvent, et quelques longueurs pointent le bout de leur nez malgré la relative courte durée du métrage, mais jamais le métrage ne devient ennuyeux pour autant, si l’on n’y adhère, encore une fois. Le film se doit de diviser, et d’ailleurs, certains choix de Cronenberg pour son métrage ne sont pas là pour faire plaisir au public, entre un futur finalement gris et banal, voir triste visuellement, un propos relativement flou. Mais il arrive toujours à me fasciner.

Les plus

Retrouver Cronenberg et ses thématiques
Beaucoup de thématiques intéressantes
Les acteurs, excellents pour la plupart
La musique d’Howard Shore
Parfois fascinant

Les moins

Un univers et des personnages très froids
Trop d’intrigues et de personnages peu exploités

En bref : Les Crimes du Futur divise, et c’est normal, Cronenberg livrant un film très froid, abordant beaucoup de thématiques, personnages et d’intrigues, mais laissant beaucoup de choses floues, sans émotions, sans réponses. Mais il arrive encore à fasciner par moment et à nous interroger, et rien que ça, ça fait plaisir à voir.

A FEW WORDS IN ENGLISH
THE GOOD THE BAD
♥ Cronenberg and his usual themes are back
♥ A lot of interesting themes and subjects
♥ The actors, excellent
♥ The score from Howard Shore
♥ Sometimes it’s fascinating
⊗ The world of the film, as well as the characters are a bit too cold
⊗ Too many plots and characters
Crimes of the Future isn’t for everyone, and it’s normal, Cronenberg delivers a cold film, distant with its viewers, with many themes on screen, many characters, many different plots, but a lot of things are blurry, there is no emotion, no answers. But it’s still fascinating.

2 réflexions sur « LES CRIMES DU FUTUR (Crimes of the Future) de David Cronenberg (2022) »

  1. Je valide absolument tout ce que tu écris sur ce film : fascinant et déroutant, déceptif mais intègre. C’est froid, clinique, mais à bien y regarder, à quelques mélos près (La Mouche, M Butterfly, …) les visions de Cronenberg sont plutôt froides, cyniques et lugubres. Il y a dans « les crimes du futur » quelque chose du festin nu, comme une hybridation de Burroughs avec Kafka, comme un voyage en interzone (ce monde aberrant) en proie aux mutation kafkaiennes (ce lit en forme d’insecte sur le dos, cette administration absconse du recensement d’organes, …) Ton analyse est parfaite quand tu évoques : « la douleur n’est-elle pas la preuve que nous sommes vivants ? » Cronenberg décrit un monde devenu insensible, ce qui répond aux premières accusations : comment se satisfaire d’une émotion factice à l’écran quand celle-ci semble déserter peu à peu la vie réelle ? Bref, un film passionnant, sans doute imparfait dans son écriture, mais bel et bien à la hauteur des attentes chez ce grand réalisateur.

    1. Et bien voilà, il fallait un Cronenberg pour que l’on soi de nouveau d’accord sur un film, sur tous les points. Et en effet, son cinéma est souvent froid, mais je sais pas, ici il a poussé le concept plus loin, sans ce personnage plus ou moins normal qui nous facilite l’entrée dans l’univers. Après tout, mes deux Cronenberg préférés sont VIDEODROME et FAUX SEMBLANTS.

      Un film que je reverrais en tout cas très certainement à l’avenir une fois que mes amis l’auront également vus pour pouvoir en parler plus longuement.

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